C’est au mois de mai 1978. J’ai cinq ans. On a pris l’hovercraft à Calais pour se rendre à côté de Southampton et la mer était mauvaise. Mes parents ont eu l’idée étrange et géniale de me confier un appareil photo. C’est un Instamatic 33 de marque Kodak, avec deux positions, soleil ou nuageux. Pas besoin de langage articulé, de pinceaux ou quoi que ce soit d’autres pour s’exprimer. On vise, on appuie, on capture une fraction carrée du monde, 28 mm sur 28 mm de film noir et blanc.
Je me suis mis à roder près de la piscine avec cette idée fixe, arrêter tout, le temps, le défilement des nuages dans le ciel (attention au réglage !), le mouvement des adultes. L’appareil est une baguette magique. Avec, je peux délimiter l’espace, commander aux évènements, grignoter quelques miettes. Avec, je dérobe l’éternité, je la subtilise…tant pis pour elle.
Cette photographie m’a hanté pendant des années, perdue plusieurs fois, enfouie, oubliée, finalement excavée des souvenirs et des monceaux de paperasses, elle se trouve aujourd’hui au milieu d’un tas de clichés pris à cette époque à hauteur de genoux, à hauteur de chien, comme dans les films d’Ozu. Curieux, tout de même, de voir aujourd'hui le monde à travers ces yeux-là ! Je crois que je suis né à moi-même en appuyant à ce moment précis sur le déclencheur. Je n’ai plus beaucoup changé depuis lors. Seulement, le moment suspendu s’est changé en fluide. L’écoulement a vaincu. L’immobilité parfaite de l’instant s’est changée en une cavalcade linéaire. J'ai plongé dans la piscine à la place de mon modèle. La réalité, avec ses à-coups, se situe bien sûr entre les deux, entre la photographie et la littérature, entre le point et la ligne…Le Roman est une masse liquide, dont la vraisemblance, l'existence, la durée se positionnent, non en concurence avec cette réalité cahotante, mais clairement en dehors d'elle.
Rien de tel que de mettre en boîte le temps qui nous regarde passer et trépasser... sans jamais revenir. Voilà tout l'intérêt de la photo : une trace, dans la mémoire collective.
Rédigé par : Justin Hurle | 29 novembre 2007 à 17:42
Ouais, j'ai vu ça sur France2 pas plus tard qu'hier soir. Je suis très sensible aux chiffres depuis le jour où, pendant un oral de ma très brillante licence de lettres, je me suis disputé avec mon examinateur sur le sens d'une métaphore, une histoire de volcan dans "Les Immemoriaux" de Segalen... eh bien, tu le crois, tu le crois pas, cet enfoiré m'a donné un scandaleux & satanique: 66,6 pour mon oral.
Rédigé par : lazare | 27 novembre 2007 à 11:42
@Lazare
"Il apprend de ses amis francs-maçons que, dans le 13è chapitre de l'Apocalypse, Napoléon est identifié comme Antéchrist : que celui qui a de l'intelligence compte le nombre de la bête; car c'est un nombre d'hommes et ce nombre est 666. cette prophétie avait beaucoup frappé Pierre. Il se demandait bien souvent qui mettrait un terme à la puissance de la Bête, autrement dit de Napoléon; au moyen de la même numération, il s'ingéniait à trouver une réponse à la question. Il essaya d'abord la combinaison : L'empereur Alexandre, puis, La Nation russe. Mais le total était supérieur ou inférieur à 666. Il eut un jour l'idée d'inscrire son nom Comte Pierre Bésouhoff, mais n'arriva pas au chiffre voulu. Il mit un Z à la place de l'S, ajouta la particule De, l'article Le, toujours sans résultat satisfaisant. Alors, il lui vint à l'esprit que si la réponse à la question se trouvait vraiment dans son nom, il fallait y joindre sa nationalité. Il écrivit alors : "Le russe Bésuhof. L'addition de ces chiffres donna 671, soit 5 de trop. 5 représentait un E, la même lettre qui était élidée dans l'article devant Empereur. La suppression, d'ailleurs incorrecte, de ce E devant son nom lui fournit la réponse tant cherchée : L'Russe Bésuhof - 666. Cette découverte le bouleversa."
La Guerre et la paix
Léon Tolstoï
Rédigé par : Mikael | 26 novembre 2007 à 19:29
pas de souci, lazare...C'est juste qu'en 1978....mon fils avait déjà 10 ans....Voilà qui me fait prendre conscience du temps qui passe...à l'extérieur, car au dedans de nous, la durée est totalement différente.
Rédigé par : marie pierre | 25 novembre 2007 à 10:36
Nos vies sont pleines de fragments de souvenirs. Nous ne pouvons pas les nommer, ni les classer, et ils n’ont pas une grande importance. Ils demeurent cependant inscrits dans notre mémoire, inaltérables.
Rédigé par : mohamed | 24 novembre 2007 à 18:59
Bonjour, je trouve très belle la conception que vous présentez de cet espace fuyant "entre le point et la ligne". Il est remarquable ensuite de considérer à quel point une vague fixation du temps convoque en nous une salve émotionnelle si intense. Reste à idéntifier la nature de ces étranges émotions, bien confuses parfois face au déroulement des choses...
Rédigé par : Jérémie | 24 novembre 2007 à 10:48
C'est une photo vraiment très belle, instantanée... c'est un peu galvodée comme expression mais bon, c'est le mot idoine (oh, on a pas souvent l'occasion de l'utiliser celui là). J'aime la photographie, il y a quelque chose de parfois décalé, de spontané qu'on a du mal à retrouver ailleurs. C'est un fait.
Maintenant le fait que tu aies eu 5 ans en 1978 (alors que je n'étais même né)risque de poser un soucis. Faut que je jette un oeil dans mon précis de guématria.
Rédigé par : Lazare | 24 novembre 2007 à 09:04
ce que j'aime: le monde vu à hauteur d'enfant ( celui qu'on était, quelle idée géniale, cet appareil photo à 5 ans, j'aurais dû y penser pour mes enfants!)
Ce que je n'aime pas: que tu aies eu 5 ans en 1978......Allez savoir pourquoi.
Rédigé par : marie pierre | 24 novembre 2007 à 08:53