Le temps passe et le principe de réalité devient un obstacle proprement monstrueux qui enfle et se ramifie. Les jours infinis de la jeunesse n'offrent en définitive que peu de place aux rêves accumulés. Il faudra faire le tri dans les projets qui s'additionnent et se superposent, se concurrencent, faute de temps, d'énergie ou de volonté. L'oeuvre démesurée que l'on porte à bout de bras est en réalité inversement proportionnelle à celle que l'on produit. La montagne accouche toujours d'une souris. On devra enterrer sous les notes certaines idées grandioses, non seulement en vertu de contraintes matérielles, mais également, et c'est plus regrettable encore, par calcul. La volonté d'exister nuit ainsi à l'existence de l'oeuvre elle-même.
On peut tout de même évoquer ici ce qui ne sera pas et appliquer le précepte borgésien consistant à dépeindre en quelques lignes seulement ce qui pourrait s'écrire sur des centaines de pages. Il s'agit-là d'une imposture littéraire à minima, l'avortement que l'on fait passer pour la naissance.
Projet condamné n°1
Science fiction sociale
-Soit un vaisseau-monde, baptisé Macondo II, voyageant vers Proxima du Centaure (située à 4 années lumière de la Terre) et contenant mille personnes.
-Attendu que l'engin se déplace à une célérité équivalent à un centième de la vitesse de la lumière (supputation technique raisonnable), le trajet d'un monde à l'autre est donc estimé à 400 ans.
-Laissant de côté les péripéties de l'aventure spatiale, on envisagera les aspects sociaux, culturels, religieux et politiques de cette micro société sans attache (sectes, cultes, mutineries, rapports entre les générations, glissement de la dictature militaire à une forme helvétique et villageoise de démocratie).
-Il s'agira d'une relecture de 100 ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez.
-8 tomes couvrant 50 ans chacun, divisés en deux cycles de 4 tomes intitulés Ascension et Pentecôte, comme les deux versants d'un col imaginaire qui serait le point de non-retour.
-Chaque tome serait centré sur un personnage à l'intérieur d'une même filiation (Buendia).
-Les descendants des pionniers, nés à bord du vaisseau et n'ayant jamais connu la Terre, accepteront-ils le destin choisi pour eux par leurs ancêtres et choisiront-ils le moment venu de quitter leur monde pour une planète inconnue ?
Temps de rédaction nécessaire : environ 10 ans.
Probabilité de succès éditorial : faible.
Indice de cohérence par rapport au travail de l'auteur : 3/10
Rapport difficultés/rétribution : 2/10
Recommandation : Abandon.
@2ndflore
C'est encore négotiable...
Rédigé par : Mikael | 14 mai 2009 à 12:54
10 ans ? Tu étais bien optimiste!
(Mais je vois que les droits sont déjà vendus ;)
Rédigé par : secondflore | 14 mai 2009 à 10:00
Un sage m'a dit : "ce qui compte c'est de travailler sans penser au résultat". Est-ce que le mal de notre société n'est pas justement de n'envisager que le résultat ? Si un projet doit prendre dix ans, et alors ? Si c'est la réalisation de ce projet qui est l'essence même de la vie ?
Rédigé par : Dodue | 08 mai 2009 à 17:25
Je ne connais pas votre âge, alors difficile de laisser un commentaire...
Rédigé par : Loïs de Murphy | 03 mai 2009 à 16:54
Je vous propose une autre manière de voir. Inutile d'écrire dix tomes. Un seul texte peut suffire pour dire la même chose. L'essentiel n'est pas, d'ailleurs, dans le contenu de la saga, mais dans le rapport à la langue, qui n'est pas autre chose que le rapport au réel. Toujours, le style, au fond. Ecrire dix tomes ne fait pas une oeuvre et il y a parfois plus de fulgurance, et d'intensité, dans quelques lignes que dans d'épais ouvrages proprement illisibles. Et puis aussi autre chose : faire une oeuvre n'est ni nécessaire ni utile. J'ai même tendance à penser le contraire. Vivre l'art comme un passe-temps est la garantie d'un travail sérieux, profond, apte à témoigner du monde et de notre expérience. Deux pages par jour, par semaine ou par mois peuvent être autrement riches que bien des volumes... Il faut résolument être un "écrivain du dimanche". C'est pour cela qu'à mon avis il est inutile de se martyriser. On peut vivre à Paris, au Québec, à Montluçon ou à Bombay... Peu importe. Ce qui compte c'est ce que l'on fait du regard que l'on porte au delà de notre horizon. Et puis encore autre chose... Moi aussi, il m'arrive de haïr le monde (pour les mêmes raisons que vous j'imagine). Il m'arrive aussi d'être bouleversé de bonheur. Car ce monde, haïssable, est aussi un monde complexe, et riche. Ce monde est aussi un monde de beauté, et d'émerveillements. Depuis que la littérature est littérature, c'est toujours de cela dont il s'agit. Soyons optimistes. Kafka vit toujours. Il écrit, ou parle, ou chante, et fait toujours de la natation. Vous le rencontrez régulièrement. C'est votre ami. Ou votre voisin. Ou le type qui vous reçoit dans son agence immobilière. Ou dernière son guichet, à la poste. Dans quelques dizaines d'années on parlera peut-être de lui (comme de quelqu'un qui aura deviné l'esprit du temps mieux que ses contemporains). Ou peut-être pas. Mais on s'en fout, n'est-ce pas ? Savez vous que les hirondelles sont de retour ?
Très amicalement à tou-te-s
Rédigé par : Majuscule | 01 mai 2009 à 09:14
Vous êtes dans la mesure, dans la mesure juste, dans la juste mesure, "au micron" près.
Rédigé par : Chr. Borhen | 30 avril 2009 à 12:20
@vous tous
Il n'y avait pourtant rien de triste ou de déprimant dans cette note, juste un certain pragmatisme face à la quantité de travail et aux choix que cette quantité impose. Relater le projet que je n'écrirai pas, c'est le faire exister quand même d'une certaine manière.
Rédigé par : mikael | 30 avril 2009 à 10:51
Pardon la Taupe, mais il y a maldonne : je n'ai jamais dit que sur le blog de Mikaël on s'emmerdait. Je parle d'ici LA FRANCE où à force de s'emmerder, on devient emmerdant si on ne change pas de vie !!
J'estime bcp le travail de Mikaël et je crois en effet qu'il "écrit" vraiment et que son blog - tout comme son travail - est de grande qualité. Je le considère comme un des 10 meilleurs qui existent. J'ai fait, avec mes acolytes, la preuve de notre estime pour lui en le publiant conséquemment sur D-Fiction...
Bien à vous
Rédigé par : hoctan | 30 avril 2009 à 10:20
@c. hoctan: Bonjour. Je suis en grande partie d'accord avec vous. Oui cette flagellation et cet aveu d'impuissance me semblent stériles, aussi. Oui Mikael peut nourrir toutes les ambitions. Oui il faut choisir les mots, pleinement, choisir l'engagement dans les mots, et ces sacrifices dont vous parlez...
Mais non, les textes proposés ici ne sont pas 'emmerdants', bien au contraire, et leur singularité vient peut-être de ce que vous dénoncez. En cela, peut-être, elle réside. Mikael doit-il fréquenter les gens, les lieux, les réseaux qui font la littérature d'aujourd'hui? De quoi parlez-vous? Doit-il entrer dans le 'mouvement' des lettres? Je ne sais pas. A lui de décider. Vous parlez de Kafka, dans votre commentaire, et j'aimerais vous 'suivre'. C'est un très bon exemple. Honnêtement, les yeux dans les yeux, si un Kafka (et l'auteur d'OMICRoN n'est pas, ni ne se prend pour, K. D'ailleurs Kafka est mort) existait, aujourd'hui, dans ce que vous appelez la littérature d'aujourd'hui, qui le lirait, qui entendrait sa voix, qui prêterait attention à son murmure, dans tout ce brouhaha moderne? Personne, je le crois profondément. Il n'y a plus de texte. Très peu. Il est des auteurs, qui vous font accroire, de façon surprenante parfois. J'imagine que Mikael, de cela aussi, est convaincu, et ce qui vous parait être un renoncement, et une dénonciation dérisoire, est sa réponse à cette forme d'effondrement des choses... C'est ainsi que je l'entends.
Cordialement.
Rédigé par : lataupe | 30 avril 2009 à 09:26
Cher Mikaël,
vas-tu bientôt nous annoncer ton suicide en ligne ?
Que dirait un Dostoievski essayant d'écrire dans les goulag et bien d'autres auteurs qui ont tiré le diable par la queue ?
Je pense que ton idée de roman SF est excellente et que tu pourrais la mener à bien... en changeant juste de vie ! : libère toi donc au plus vite (à ton âge, tu as la vie devant toi!) et la solution à tes problèmes se présentera d'elle-même.
Facile à dire penseras-tu... Mais ne vois-tu pas que plein de gens réalisent des idées foireuses qui marchent alors que, souvent, ceux qui ont des bonnes idées galèrent ? C'est donc bien une question d'énergie et non pas que de système même si... je suis bien d'accord, rien n'est simple. Dans tous les cas, change de manière d'envisager les choses, cela devient urgent pour ta santé ! Fréquente les gens, les lieux et les réseaux qui font la littérature d'aujourd'hui !! Moi qui hais ce monde profondément, je pense qu'il faut changer de vie ou se tuer mais en aucun cas jouer les Kafka maudits. Ce n'est pas sérieux. Mieux vaut vivre en effet comme Marc P. et au moins écrire ce qu'il écrit (même si cela à l'air d'un pathétique sans nom) que d'avoir des idées comme toi et nous les exploser en live ! En faisant ça, tu creuses toi même ta propre tombe parce que tu canalises des énergies très négatives(comme tes propos d'ailleurs l'illustrent).
D'ailleurs, la littérature est un mode de vie particulier qui demande des sacrifices et, sans doute, ton existence actuelle n'y répond pas. C'est là-dessus que tu devrais réfléchir...
Remets toi à écrire deux pages par jour et continue ton oeuvre. S'il le faut, quitte Paris pour l'Asie ou bien la Province, devient épicier ou marchand d'armes mais change de vie, ça te changera la tête (moins de cernes ! ) et d'idées (plus de dynamique)... Prends exemple sur l'ami Jenvrey qui cultive ses rosiers à St Jean de la Ruelle... ou à F. Bon est définitivement parti au Québec vivre autre chose qu'ici où, c'est vrai, on s'emmerde ferme au point de devenir emmerdant...
Rédigé par : c. hoctan | 30 avril 2009 à 01:09
@JNO
Une Singha et tes remerciements éternels en guise de préambule...tope-là !
Rédigé par : mikael | 29 avril 2009 à 23:22
Paresseux !
PS : Je te rachète ton projet une singha
Rédigé par : JNO | 29 avril 2009 à 23:11
Et l'oeuvre réelle alors, ce serait quoi? Un enfant illégitime? Et celle créée sous un 'hetéronyme'? Née sous X? Et l'oeuvre 'orthonyme'? Un clone?... Enfin la lecture, de tout cela? Un recensement de population?
Rédigé par : lataupe | 29 avril 2009 à 13:29
Très bien, votre billet. Le nombre de projets morts-nés, pis encore : juste "imaginés", "croqués" ou "synopsisés" (tous arts confondus) doit en effet être colossal. Une souris ? je dirais même la puce qui se balade sur le dos de la souris... Soyons humble devant le monstre.
Rédigé par : NLR | 29 avril 2009 à 10:29