On peut dire, je crois, qu'avec la révolution française s'est ouverte une période où la construction de l'identité nationale s'est vue associée, intimement, à la littérature. A l'encontre d'autres nations, la France a fait le choix de cet appariement. L'écrivain, ce nouveau saint laïque, porteur de la conscience et de la parole du peuple s'est vu, soudain, propulsé au premier rang de la culture, de la raison, du progrès technique et sociale. Cette tendance semble culminer sous la troisième république, Victor Hugo ayant contribué à cette élaboration, tout autant que les hussards noirs de l'éducation et les terrassiers des routes nationales. Suprématie d'une langue (le français n'est finalement devenu majoritaire en France qu'au XIXè siècle, notamment grâce à la constitution d'un réseau de voies de communication), cadre linguistique de la chose littéraire et figure tutélaire de l'écrivain pour porter le tout.
On peut dire, je crois, que cette période s'est achevée avec le reflux géopolitique de la décolonisation, la France retournant à ses frontières naturelles, comme un fleuve en décrue. À mesure que l'influence et le pouvoir diminuaient, la figure de l'écrivain descendait peu à peu de son piédestal et la littérature, en tant que vecteur identitaire, migrait doucement du centre de la culture à sa périphérie pour ne plus devenir finalement qu'un élément artistique et intellectuel parmi bien d'autres. D'où la récente dissolution du lien qui unissait jusqu'à présent pouvoir exécutif et littérature. Contrairement au États-Unis, où la question identitaire est toujours en perpétuelle renouvellement, la superposition d'un peuple, d'une langue normée et d'un territoire figé est désormais parfaitement achevée.
De là viendrait sans doute ce sentiment de venue tardive, ou d'inadéquation fondamentale chez beaucoup d'écrivains aujourd'hui. Comment porter le poids d'une vocation, somme toute, anachronique ? La passion s'épanche, ridicule, en l'absence d'un objet, inertie des générations qui s'obstinent à refuser le changement. L'auteur français contemporain est un retardataire qui débarque avec ses fleurs décaties et son vin aigre, alors que la fête est terminée.
Oh! Dis donc. C'est dur, mais pas faux.
(NB - on n'oubliera pas que concomitamment à la décolonisation, les frontières se sont ouvertes par les ondes, et que l'écrivain pouvait difficilement lutter...)
Rédigé par : secondflore | 13 juin 2009 à 19:31