Le bureau se voit peu à peu envahi par divers monticules. J’essaye tant bien que mal de rationaliser les tas, mais c’est peine perdue. Les pyramides se frôlent, se touchent, puis s’agglomèrent franchement, créant par fusion tout un magma de documentation et de papiers à intérêt variable. Les livres ouverts, les dictionnaires se mêlent aux factures. Les confettis de fulgurance quotidiennes se fondent aux quittances et aux articles de presse.
Écrire un livre revient pour moi à entasser de la cellulose sur mon espace de travail, à le saturer petit à petit. Ranger prématurément cet amoncellement consisterait à déséquilibrer la fiction. Plus le bureau est encombré et plus le récit se décante, s’affine, selon le principe des vases communicants.
Une fois l’histoire terminée, je trie enfin, je jette, je garde, je fais place nette. On voit de nouveau la couleur de la table. C’est amusant, je l’imaginais plus claire, plus sombre, c’est selon. La pièce tout entière paraît soudain vide, inoccupée. La lumière semble pénétrer pour la première fois dans ce lieu, réplique immobilière de la camera oscura qui me sert de boîte crânienne. Je me sens apaisé.
Le roman est donc une course contre l’ensemble des tas. Si je tarde à conclure, je sais avec certitude que je finirais englouti par leur masse croissante. Il faut trouver le timing approprié, le point de Lagrange entre accumulation d’une part et pro-création. Il faut apprendre à naviguer entre le vide et le trop plein, Charybde et Scylla de la littérature…
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