Pendant qu'il a le dos tourné, sa collègue me dévisage à son tour. J'ai vaguement l'impression d'être l'attraction de la journée, celui qui s'est frayé un chemin jusque là, en dépit des obstacles et des embuches innombrables. À moins que ce ne soit ma chemise hawaïenne qui l'amuse. Je regarde par la fenêtre les fourmis qui s'activent dans le fond du canyon. Le gratte-ciel confère à ses occupants un sentiment de puissance indescriptible. Quelle que soit sa fonction, on y regarde toujours les gens de haut, on plane dans les nuages avec les séraphins de la finance et du succès. Pour moi, c'est certainement le début de quelque chose. le simple fait de me tenir là, souriant bêtement à une jolie newyorkaise me procure un frisson délicieux. J'ai l'impression d'avoir usurpé l'identité d'un autre, de m'être fait passé pour ce que je ne suis pas. Dans cinq minutes, Tom hanks va certainement ouvrir la porte et je basculerai alors dans le Bûcher des vanités. Pas de retour possible. Elle commence à me parler des avantages de vivre à Manhattan. Ici, c'est une forme de religion. Les Bridges & tunnels, comme elle appelle les banlieusards appartiennent manifestement à une sous espèce d'humanité indigne de fouler le sol du grand magasin Bergdorf Goodman. Dois-je lui dire que le Four Seasons de la 57è étant complet, je squate chez un copain de l'autre côté de l'East river. Elle compare Brooklyn à la vallée de Chevreuse. Là, c'est le coup de grâce ! Elle jette un oeil à Humbert qui termine sa conversation avec Hollywood et me glisse subrepticement : "Je ne vous ai pas lu, mais il m'a beaucoup parlé de vos textes. Il pense qu'il y a du Patrick Suskind chez vous et je lui fais toute confiance à ce propos". Humbert raccroche au moment même où elle termine sa phrase et en capte les dernières bribes. Il rougit instantanément et cette délicatesse innattendue me touche. "Voila, reprend-elle, c'est comme ça avec vous les Français, vous n'êtes pas habitué à faire des compliments".
Il me raccompagne jusqu'à la porte, non sans m'avoir donné les coordonnées de sa collaboratrice à Paris. elle m'a lu elle aussi et attend mon coup de fil avec impatience. Décidement, je ne suis pas habitué à ce qu'autant de gens s'intéressent soudain à mon travail. Je rougis à mon tour et nous nous serrons la main. Quelque chose de bienveillant et de chalheureux passe alors dans son regard, une forme de confiance presque paternelle.
Je me retrouve dans la rue sans me souvenir avoir pris l'ascenseur. L'odeur du café clair et des donuts se mélange à présent à l'asphalte, le parfum de cette ville. Il fait déjà chaud et humide. Les Starbucks alternent avec les Barnes & Nobles, champignons provisoires de l' Amérique corporate.
ça y est, me dis-je enfin, en reprenant mes esprits, j'ai un agent, comme Joey Triviani dans Friends. C'est dingue !
Je descends la Cinquième jusqu'au métro. Le soleil brille intensément, traverse les buildings, traverse ma chair et imprime l'ombre de mes os sur les façades. Soudain, je me dissouds dans le ciel immense qui touche l'horizon.
Généralement, je crois que les gens font semblant de ne pas se connaître, mais bon, en ce qui nous concerne c'est foutu.
ensuite, à propos de la cachoterie, je crois avoir plusieurs éléments de réponse :
-Tout d'abord, je suis quelqu'un d'assez secret.
-Je ne supporte pas les gens qui embarquent les autres dans des délires se révélant toujours décevant ou complètement mensongers et par conséquent j'évite d'être un de ceux là. Bref, je parle de choses me concernant lorsqu'elle existent pour de bon. C'est aussi un moyen de limiter la déception au maximum en cas de naufrage.
Enfin, merci beaucoup pour tes compliments.
Je vais essayer ici d'assouvir ton double penchant pour la littérature et le feuilleton. J'espère ne pas être trop ennuyeux.
Rédigé par : Mikaël | 30 mai 2006 à 18:57
Très réussi comme toujours. C'est presque écoeurant comme ça a l'air facile de saisir New York et décrire l'immense plenitude de la reconnaissance. Un bref instant, j'ai cru moi aussi avoir un agent littéraire New Yorkais !
Et puisque, en réalité, je n'écris pas, j'aimerais lire tes réflexions sur le thème de la cachoterie le fait accompli.
J'outrepasse là probablement les us et règles du blog : peut être est on censé ne pas se connaître en dehors de la toile ? D'ailleurs dit-on encore seulement la toile ? Peut-être ne doit on pas s'adresser de commentaire à strict usage personnel ? Le cas échéant, toutes mes excuses.
J'attends donc avec impatience :
- le guide de la bienséance blogaire selon Mikaël Hirsch
- le manuel de la cachoterie ou l'art du fait accompli du même auteur.
Merci d'avance petit papa noël.
Rédigé par : Claire | 29 mai 2006 à 23:31