Il est une nouvelle de Dino Buzzati que j’affectionne tout particulièrement. Gustave Eiffel y est présenté comme un ingénieur déterminé à construire sur le Champ de Mars une tour démesurée. Une fois parvenu à l’altitude officielle de trois cents mètres, le chantier s’entoure d’une nappe de brouillard artificiel et les ouvriers poursuivent leurs efforts dans le plus grand secret. Le projet n’a pas de fin théorique. Il s’agit simplement de bâtir sans relâche, toujours plus haut, les soudeurs et les riveteurs dormant à présent sur la tour comme des oiseaux accrochés à leur nid. Bientôt, les pionniers aperçoivent la cime enneigée des Alpes. Ils ont compris que le travail ne cesserait jamais et que le destin de la tour est de poursuivre inlassablement son ascension vers le ciel.
Mais le gouvernement ne l’entend pas de cette oreille. La Garde Républicaine vient déloger les irréductibles et menace même de tirer sur l’édifice colossal. En fin de compte, il faut bien se rendre et abandonner ses rêves d’azur. Les bâtisseurs déboulonnent au-dessus du nuage et ramènent alors la construction à une hauteur raisonnable.
Chaque fois que les bâtiments s’écartent et que les perspectives improbables de cette ville enchevêtrée se dégagent, mes yeux tombent malgré eux sur la silhouette tronquée de la tour. Je ne peux m’empêcher alors de penser à ces explorateurs, qui au péril de leur vie avaient poussé l’aventure vers des cieux plus ténus. Il manque de toute évidence à ce monticule d’acier un élancement absurde. Chaque fois que la ville s’ouvre, je contemple la tour...comme le témoin muet d’une réalité qui rétrécit.
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