Il nous faut accepter de venir après, de passer après, de succéder aux aînés. Cette épreuve que l’on surmonte aisément dans la vie, reste malgré tout un obstacle en terme de littérature. En effet, l’expérience étant intransmissible, on peut tout à fait vivre sa vie en étant le premier Homme. Chaque génération peut ainsi commettre les erreurs de la précédente, reproduire de vieux schémas aux grés de ses caprices. Mon premier amour est le premier amour de l’humanité, mon premier chagrin, la mort de Juliette, ma première guerre, le siège de Troie. Le corps est neuf et notre connaissance du monde, liée au développement des sens.
Impossible toutefois d’ignorer les bibliothèques qui croulent sous les publications. La civilisation repose sur l’idée même de conservation. Il a fallu qu’on amasse, qu’on thésaurise, qu’on résume et si nul n’est censé ignorer la loi, aucun écrivain digne de ce nom ne peut décemment ignorer les montagnes de livres et de papyrus qui l’ont porté sur les fonds baptismaux. Si chaque tranche d’âge avait eu la bonne idée de brûler la somme de ses connaissances, je pourrais tout à fait « inventer » Macbeth ou l’Odyssée et vous n’y verriez que du feu. Bien sûr, l’œuvre serait beaucoup moins bonne, approximative et brouillonne. Je ne suis ni Shakespeare, ni Homère, loin s’en faut, mais n’ayant pas connaissance de l’originale, vous devriez bien vous en contenter. Impossible par conséquent de réinventer la roue, à moins de vivre sur une île coupée du monde et d’écrire pour un public de lilliputiens.
Il faut en permanence tenir compte de cette appendice fictionnel, de ce kyste littéraire rempli de nos anciennes humeurs. Comment faire pour y échapper ? Puisque l’indifférence n’est pas de mise, il devient nécessaire d’en jouer, de s’en servir et d’en rire. C’est le credo du modernisme ! On fait du neuf avec du vieux, on rapièce sans relâche, puisque l’étoffe, pour usée qu’elle soit, peut encore servir au grand patchwork. La condition d’écrivain est donc similaire à celle du pilleur de tombes.
A tous les écrivains de fortune qui se servent sans vergogne, les flibustiers du Waterman, les boucaniers, les pirates de toutes sortes, les truands aux doigts de fée, les corsaires et les maraudeurs des sept mers. Vendez chèrement votre peau. A l’abordage ! Vous êtes mes frères et je suis des vôtres.
Avec plaisir...
Rédigé par : Tétanos | 28 juillet 2006 à 18:48
bien noté !
Merci du conseil.
je crois avoir déjà lu quelque chose à ce propos sur votre site, non ?
ça m'avait parut intéréssant, mais comme tant d'autres choses. Comme quoi, la piqure de rappel fait toujours son effet. Je me le procure et on en reparle si le coeur vous en dit ?
Rédigé par : Mikaël | 28 juillet 2006 à 16:59
À ce propos, l'excellent livre d'Orion Scohy, "Volume" se distingue de bon nombre de productions contemporaines... je vous le conseille vivement...
Rédigé par : Tétanos | 28 juillet 2006 à 12:42