Depuis plusieurs jours, je reçois des mails touchant à mon identité. Pour ces lecteurs anonymes, je pourrais bien être l’Écrivain mystère, ou plutôt nous serions en réalité les deux faces d’un même personnage. Je serais son Dr Jeckyll, alors qu’il serait mon Mr Hyde. Dans un repli du Web, je tombe même sur un commentaire allant également dans cette direction. La rumeur enfle déjà et se propage à toute vitesse…
Je le confesse bien volontiers, ces supputations me troublent. Bien évidemment, je sais qui est l’Écrivain mystère, ou du moins je crois le savoir. En tout cas, je le croyais, car à présent ma perception du monde s’en trouve considérablement modifiée. Tandis que je pensais traquer le bandit masqué, d’autres me traquaient à leur tour. Le chasseur est devenu gibier !
Serais-je donc l’Émile Ajar du monde binaire, l’instigateur d’une magnifique imposture ? En vérité, à quoi bon démentir ? Les dénégations s’avèrent inutiles et légitiment les picadors dans leur travail de sape.
À l’heure où même Peter Parker s’apprête à révéler au monde son identité secrète, je me demande tout de même si l’Écrivain mystère à conscience de sa véritable nature. S’agit-il d’un phénomène très rare de somnambulisme littéraire, auquel cas, comment être sûr que nous ne formions pas qu’un ?
Il se trouve justement que la figure du double est au cœur de mon propre travail. Je vois soudain l’un de mes personnages s’échapper de sa page et sauter à pieds joints dans la réalité.
Qu’on puisse se poser la question me donne à réfléchir. Suis-je entrain de perdre le contrôle de la situation, ou bien est-ce lui qui à force de mystère rabat la meute vers moi ? Est-ce lui qui en ce moment même est entrain d’écrire ces lignes ? Décidément, je ne m’en souviens pas ! Il est possible que le mystère soit si dense que son auteur en ait oublié l’origine et les modalités. On oublie trop facilement que l’on est un autre, surtout lorsqu’on écrit. Borges est mort trop tôt. Il aurait fait un conte de cette situation…
Serais-je entrain de sombrer doucement dans un piège fractale où Je se décline en d’infinis ramifications dissemblables et pourtant identiques ? Parler vrai pour ne pas être cru ! L’illusion n’est que l’abus des sens, tandis que le mensonge est le masque de la vérité.
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