On mésestime le pouvoir des représentants. Ces commis voyageurs de l’édition ont leurs têtes, leurs petites lubies. Ils gèrent la mise en place, l’approvisionnement des libraires, mais s’arrangent aussi pour susciter le désir. On commence par leur parler de vous. Ce sont là des préliminaires indispensables. Il faut qu’ils s’habituent lentement à votre existence dans leur catalogue chéri. Votre nom est comme une mise en bouche. Il faut que ça roule, que ça décoiffe. Si l’appétit est là, on ira ensemble jusqu’au dessert, autrement, gare à vous. Ils sillonnent le pays, avec leurs préférences, leurs sentiments et leur force de vente. Il vaudrait mieux que votre engin les valorise, car il est toujours plus facile de vendre ce qui embellit. On aimerait parler avec exaltation de ce qui rend plus fort. Au lieu de cela, on doit fourguer au jour le jour des idées que l’on n’a pas choisi, que l’on n’a pas écrit et que l’on n’aurait pas eu de toute façon, parce qu’on voit le monde autrement. Si seulement il y avait une étincelle entre nous, juste un petit feu qui me ferait luire dans vos pupilles. Vous aimeriez alors me protéger et me défendre, mais le passé me colle aux basques. L’ombre d’Arthur Miller plane encore sur nos relations épisodiques et j’en suis désolé.
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