Lorsque j'avais dix-sept ans et que j'écumais en bus les routes de la Nouvelle Angleterre, à la recherche d'une bibliothèque ou d'un banc où se serait assis Kerouac ne fut-ce que cinq minutes, j'étais bien loin d'imaginer cette interminable montée en ascenseur.
Je me souviens d'une station service, dans les faubourg de Lowell, Massachussets, où même les vapeurs d'essence et le bubble gum à la fraise avaient un parfum d'aventure et de roman. Je crois que c'est à cet instant précis que les choses sont devenues claires pour moi, que l'Amérique a cessé d'être un espace géographique pour devenir un théatre de fiction, une terre de littérature, faite de lignes et de signes. Cette Amérique rêvée cherchait à se subsituer à l'originale, par superposition comme le Tlön de Borges et je venais moi aussi de ce monde parallèle. J'étais égaré dans la réalité.
tandis que je montais vers le but de tout auteur en herbe, le désir de l'autre, L'ascenseur s'arrêta. le liftier me fit un signe de tête. Je me retrouvais dans un couloir sinueux; par les portes entrouvertes, j'aperçus de grands espaces vides, les open spaces de bureaux à venir, les électriciens au travail. On rénovait désormais ces magnifiques immeubles de Mid-town pour en faire des agences en communication, des lofts et des lieux d'exposition.
Je frappai et ouvrit la porte. Mon coeur battait la chamade.
C'était un homme de petite taille, au costume clair et au regard perçant. C'était bien lui, l'éditeur en exil, réfugié dans son gratte-ciel au coeur de la mégapole, comme Hugo du temps de Guernesey. Appelons le Humbert, un homme à la trempe suffisante pour violenter un peu cette Amérique encore mineure, tout comme le pesonnage de Nabokov. Il quitte un moment sa collaboratrice américaine qui me sourit de loin et m'emmène dans une salle de conférence à la table ovale. Partout, les gens s'affère, les téléphones sonnent, le fax crépite. Autour de lui règne comme un isolat de calme, une aura sereine et grâve. Son sourire illumine son visage. Ses yeux me transperce. Immédiatement, je me sens jaugé jusqu'au tréfond, pas un millimètre de tripe qui n'échappe à l'analyse. Depuis trente ans qu'il fréquente des auteurs, il a dû établir sa propre nomenclature intime, son catalogue raisonné d'emmerdeurs. je me demande à quelle catégorie j'appartiens et si son intérêt saura faire de moi celui que j'imagine.
J'essaye d'avoir l'air calme. Nous parlons du texte, des textes, de tous les textes qui dans mon délire tapissent les murs, dégoulinent dans la rue, recouvrent l'asphalte qui s'échauffe, les pelouses de Washington Square et la terre toute entière.
Il me présente un contrat que je relis et signe. On l'appelle au téléphone. C'est le bureau de Los Angeles. Là-bas, il n 'est encore que sept heures du matin...
(to be continued...)
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