"Je vous attendrai à la terrasse du Royal Camée", m'avait-elle dit au téléphone. Il allait se mettre à pleuvoir...
J'avais reconnu les dialogues de Roger Nimier, un peu trop écrits, un peu trop passionnés pour être seulement réels. Les Hussards, cela étant, parlaient comme ça, avec emphase. On en revenait toujours là finalement.
la nuit tombait, sourde et invariable. On espérait alors la vibration des néons, un je ne sais quoi de lançinant, de la poussière, un chapeau mou, des alcools forts...
Elle s'appelait Anne-marie. J'adorais déjà ce petit côté désuet, très légèrement surrané qui m'évoquait les pensionnats de jeunes-filles. Pourtant, c'était elle l'âme damnée de Humbert, la Mata Hari des relations publiques. On la disait proche de sa majesté Weyergans et de tant d'autres illustres. Dans le landernau germanopratin, c'était déjà un personnage, une figure désirable que les faibles convoitent et que les puissants convoquent. Moi, elle me donnait simplement rendez-vous, alors...
En entrant dans le bar, je réalisai à quel point son prénom m'avait égaré. Le pensionnat était déjà loin. Dans le clair obscur façon Harcourt, elle affichait elle aussi cette moue volontaire qu'arborait jeanne Moreau dans Ascenseur pour l'échafaud.
Elle allait donc être mon double, mon factotum, ma voix tonitruante auprès de cette race craintive qu'est l'éditeur parisien. Nimier me revint alors en mémoire : "un pays de silence" sussurait Maurice Ronet dans le combiné des bureaux Carala.
À ce moment précis l'orage éclata. On entendait en sourdine la caisse claire de kenny Clarke, le long feulement ébourriffé de Miles Davis. Elle tourna la tête, et me reconnut sans que j'aie fait un signe. les néons crépitèrent encore quelques secondes avant la panne inévitable.
mais qu'est-ce que j'allais bien pouvoir lui dire ?
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