Reparlons un peu de Philip Roth. Alors que Le Complot contre l’Amérique sort ces jours-ci chez Gallimard, le nouvel opus de l’ami Philip vient de paraître outre-atlantique. Ne reculant devant aucun effort, je vais vous en dire deux mots, avec six mois d’avance sur Pierre Assouline et Philippe Sollers. Une fois n’est pas coutume, me direz-vous…
Depuis quelques années, Roth a pris l’habitude d’alterner roman majeur et court récit bâclé, ce qui ne laissait rien présager de bon au sujet de ce dernier ouvrage. En effet, il paraît dans la foulée de ce fameux Complot, premier grand roman américain post-onze septembre sur la paranoïa, l’ostracisme et la réduction inquiétante des libertés publiques.
Sobrement intitulé Everyman, il s’agit d’un récit court, comme l’était le catastrophique La bête qui meurt, paru en français en 2002. Le propos en est extrêmement simple et poignant, la mort d’un homme. Cet Homme moyen dont la vie n’a pas de signification, cet Homme guidé par ses pulsions autant que par ses remords, c’est vous, c’est moi.
On reprochera à l’auteur américain de se livrer une nouvelle fois à l’autofiction, de camper des personnages éculés, de se vautrer comme à son habitude dans les états d’âme d’un septuagénaire obsédé et pourtant, rarement a-t-il été si juste. Ses thèmes de prédilection reviennent effectivement ici, mais dépouillés de leurs oripeaux habituels, laissant transparaître ce qui depuis le début hante l’intégralité de son œuvre, la mort ! La réussite professionnelle comme paravent miteux des échecs conjugaux, le refus des responsabilités familiales, le sexe des jeunes filles, tout est maintenant décapé jusqu’à l’os, comme préludant à la révélation finale.
L’auteur de la Contre-vie, semble signer avec Everyman le roman de l’après-vie. En effet, l’action tout entière se déroule telle une postface, un appendice final qui vient clore l’existence et l’entreprise littéraire. L’Amérique d’après le World Trade Center est aussi bien le salarié à la retraite et l’homme sans désir que le corps sénescent. Le prolongement de la vieillesse, cette période qui s’étend désormais entre la fin de la vie dite « active » et la mort, est vue comme un gouffre absurde et solitaire.
Everyman est un livre où règne la souffrance physique, la décrépitude et la maladie, comme si avec les tours jumelles, c’était la jeunesse elle-même qui avait foutu le camp. Au lieu d’être hanté par son passé, le protagoniste sans force cherche à fuir le futur, qu’il sait comme nous tous inévitable. Point de révélation en fin de compte ! Lorsque la parenthèse se referme, il n’y plus rien que le Rien, rien à comprendre finalement, rien que le néant et la Terre, qui scintille malgré tout comme une gemme polychrome sous la loupe d’un joaillier.
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