Un jour, quelqu’un (un éditeur) m’a dit : « soyez un poète, soyez un romancier ou un nouvelliste, mais surtout, ne devenez pas écrivain ». À l’époque, j’avais pris ça pour une sentence brillante et sans appel, le genre de réplique qui n’admet aucun commentaire. J’étais resté là, silencieux, les yeux plissés par la réflexion. La peur d’être pris pour un dilettante m’ôtait tout sens critique. Il fallait donc choisir son camp ! C’était indispensable !
Avec le recul, je crois pouvoir dire que cette ineptie est la chose la plus ridicule qu’on m’ait jamais déclarée.
Les genres littéraires n’ont pour moi aucune existence réelle. Ce sont la plupart du temps des étiquettes inventées par les éditeurs et les libraires pour vendre du papier. Qui connaît à l’avance la nature exacte de son travail ? Une fois terminé, alors on peut dire, voici un haïku, ou bien voilà un roman de cinq cents pages. On lui donne un genre, comme on lui donne un nom, car il faut bien l’appeler et le ranger sur un rayonnage plutôt qu’un autre.
En réalité, le problème n’est pas tant le marketing qui définit un marché et choisit une cible, mais l’omnipotence du roman dans un paysage littéraire dévasté. Les Fnac me font penser à ces régions agricoles où sévit la monoculture. Loin de moi l’idée de dénigrer le roman en tant que genre. J’en lis et j’en écris plus qu’à mon tour, mais j’ai bien peur que cette forme d’expression, encore inconnue au dix-septième siècle, ne soit lentement devenu totalitaire. C’est bien simple, si vous souhaitez être reconnu en tant qu’auteur, même médiocre, alors vous n’avez pas d’autre issue. Il vous faudra en passer par là. Faites l’expérience pour voir. Lors de votre prochain dîner en ville, essayez de parler poésie avec votre voisin de table. Vous verrez alors ses yeux se couvrir d’une taie opaque semblable à celle qui obscurcit l’œil du requin blanc juste avant l’attaque. Ne lui dites surtout pas que vous en écrivez, au risque de le voir s’écarter imperceptiblement. Il est certains termes qui évoquent des maladies à la fois honteuses et terriblement contagieuses. En société, la Poésie a tout de la blennorragie.
Bref, au-delà des cases et des têtes de gondole, en dépit des à priori et des certitudes, n’en déplaise aux censeurs paternalistes, je me sens profondément écrivain.
Peu importe la forme. Ce qui compte, c’est d’avoir un chemin !
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