Je n’écris jamais de roman. La langue française a chargé certains mots d’un tel poids symbolique, qu’il devient impossible de s’y confronter sereinement. Écrire un roman, c’est d’emblée s’attaquer à la face nord de l’Everest, c’est se mesurer au Voyage de Céline, à la recherche de Proust. On a beau s’entraîner l’été dans les Grandes Jorasses, l’Himalaya continue de faire peur.
Tout au plus, j’écris une page. Secrètement, je souhaite bien sûr qu’il y en ait d’autres, je conserve quelque part la perspective d’un horizon vaste et lointain, mais je censure mes ambitions. Je m’installe des œillères, je redoute l’ampleur du paysage.
J’écris ma page. C’est un objectif raisonnable. Envisager des échéances prochaines, c’est se prémunir contre l’angoisse des grands espaces. Je ne traverse pas le désert d’une seule traite en retenant ma respiration. Je vais jusqu’au prochain caillou, juste là, à droite et puis j’en fixe un autre que j’atteint à son tour et ainsi de suite. Peu à peu, le roman prend forme, mais je refuse toujours d’y songer. Les pages s’accumulent et s’articulent alors comme les îles d’un archipel textuel entre lesquelles je navigue. Je ponctue cet océan avec de nouvelles terres, je brise les étendues anxiogènes, je me bâtis un petit monde dans l’immensité hostile.
moi je crois qu'il faut une sacrée dose d'humilité, et non pas d'orgueil, pour écrire un roman, le publier, en se disant que de toute façon ça ne sera pas le Voyage...Mais est-ce que Proust ou Céline aimerait le mot "roman", maintenant, et d'ailleurs l'ont-ils jamais aimé ? Ce mot est chargé surtout d'un grand poids de nullité...
Rédigé par : marie pierre françois | 26 août 2006 à 08:41