Depuis quelques jours, les murs des villes se sont couverts d’un étrange placard aux allures de caducée spectaculaire. Nouvel avatar horrifique made in Burbank, Des serpents dans l’avion ne pourrait être qu’un film de plus, dans la longue liste des productions hollywoodiennes. Ce serait compter sans l’utilisation inédite du titre descriptif qui, me semble-t-il, ouvre sous nos yeux tout un éventail de possibilités linguistiques.
A mon sens, cette campagne d’affichage marque le triomphe incontesté de Google en terme de formatage sémantique. Le référencement par mots clés a fini par triompher de l’énigme et de l’interrogation. Voici venu le règne de l’explicite et de la dénotation. Cette fois-ci, la poésie est bien morte car le robot à la recherche d’un coeur est incapable de métaphore. L’association d’idées qui porte sur l’oeuvre un éclairage en biais ne serait convaincre la machine objective. Il va falloir désormais se contenter de la pleine lumière, du contraste maximum pour pouvoir exister dans l’empire des médias.
Comme le titre des romans relève en dernier recours de l’éditeur et des représentants, j’imagine déjà l’infléchissement que va subir dans les années qui viennent la couverture des livres. Si Google avait existé plus tôt, on aurait déjà assisté à une étrange mise à plat des rayonnages de nos bibliothèques. Le Rivage des Syrtes serait devenu Un homme dans un fortin embrumé s’exalte à la perspective d’un conflit et Le Voyage au bout de la nuit, Tribulations d’un médecin de banlieue au lendemain de la première guerre mondiale.
A l’heure où Marc Autret nous apprend l’existence d’un logiciel capable d’évaluer l’intérêt commercial des titres, il nous faut admettre que le marketing issu de l’Internet est déjà passé à la vitesse supérieure. L’important n’est décidément plus que le titre reflète d’une manière ou d’une autre le contenu du livre, mais qu’il en soit un extrait, la quintessence, la réduction balsamique. Au diable le commentaire elliptique ! On peut même aller plus loin et imaginer à présent un roman parfait, dont le titre serait la totalité du texte lui-même : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, etc… ». L’important n’étant plus désormais d’attirer le chaland par une formule accrocheuse, mais d’offrir au système de recherche une correspondance exacte entre l’âme et l’emballage. Cet ouvrage apparaîtrait si souvent sur le web qu’il deviendrait vite un best seller. Et si les conseils de Loïc Le Meur devenaient des préceptes du commerce culturel ? Ainsi, pense donc la machine qui pense, l’arrière petite fille d’Énigma, les quelques grammes de silicium qui veillent à présent au bon usage de nos codes.
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