J’écris avec mes pieds, en marchant, en traversant des étendues, en traçant au sol une trajectoire qui m’est propre. Je circonscris des périmètres. L’écriture est presque toujours pour moi la superposition d’un espace géographique et d’un territoire littéraire.
Je constitue des groupes d’auteurs, des affinités concitoyennes. Il y a ceux qui viennent d’une île perdue dans le brouillard, ceux d’un pays écrasé de soleil, ceux qui vivent sous la terre humide, ceux qui peuplent le ciel des villes. Les textes sont des fragments de continents jetés ça et là dans le désordre. Je range, je trie, j’établis peu à peu ma nomenclature.
En cheminant, je convoque ainsi les habitants d’une contrée pour m’accompagner. Ecrire serait donc venir de quelque part et se rendre ailleurs, revenir sur ses pas ou fuir, tourner en rond, bref se déplacer. C’est pourquoi la toponymie a tant d’importance à mes yeux.
Paris coule dans mes veines et sous ma plume comme la Seine sous le pont Mirabeau. C’est l’origine de tous mes déplacements. J’en (pro)viens, comme l’on (pro)crée. Mes ancêtres étaient les voyous de Casque d’or, les Enfants du paradis. Parcourir les rues de cette ville est donc un voyage au cœur d’une littérature vile et émouvante rédigée sur plaque émaillée. L’étymologie est forcément décevante. Il ne faut pas chercher à en savoir plus. Le nom n’est qu’une forme rigide qui se relâche avec le temps. De l’usage populaire à l’usure du patron, il n’y a souvent qu’un pas. C’est dans cet affaissement des contours que vient alors se nicher la poésie. Rue des cascades, rue du chemin vert, du renard ou de la comète, rue de l’arbre sec, rue de la grange aux belles…Sous les rues pavées, je distingue encore les grands chemins de poussière, les sentiers empruntés par les chasseurs dans la plaine herbeuse et jusqu’aux rhinocéros laineux qui descendaient des hauteurs de Montmartre pour se désaltérer dans les eaux boueuses du fleuve. C’est ainsi que se forment les voies, par une tradition immémoriale, par la filiation des troupeaux, des mammouths jusqu’à l’Homme. Lorsque je regarde les immeubles, je voie aussi des huttes et des marécages.
Marcher ici, c’est donc cheminer sur des monceaux de cadavres, sur les ruines, sur plus d’histoires que tous les livres pourront jamais contenir. Cet ouvrage là, à ciel ouvert, je le feuillette, je le foule avec mes pieds qui tracent sur ses pages des lignes mystérieuses. Je l’enjolive et le dévore. J’y écris à mon tour.
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