J’étais une fois encore cerné par les livres, chez cet éditeur dont les bureaux donnent sur la rue. Je l’écoutais sans broncher, comme hypnotisé par un sphinx. Un flot de jugements à l’emporte-pièce sortait à présent de sa bouche et se déversait sur les piles d’ouvrages, gélatine vaguement colorée qui exhalait une odeur douceâtre.
- Non, vraiment, Prévert n’était pas un poète, un dialoguiste tout au plus, un auteur pour enfant si vous voulez, mais pas un poète. Non ?
- Ah ? Oui. Pas un poète, bien !
- Oui, c’est comme René Char, typique de l’imposture en matière de poésie à mon avis. lui et toute sa descendance du Cheyne, je les conchie.
- …
- Oui, évidemment, vous ne dites rien, comme toujours, vous vous en foutez…
- Ah, mais si, si…
- Et le pire de tous, j’allais l’oublié celui-là, Yves Bonnefoy, l’escroc, le truand, le voleur de poules. Je le déteste ! ça de la poésie, non mais je rêve, laissez-moi rire…
Dans la vitrine où trônaient les centaines de livres, les milliers de livres, les stères de bois à peine débités passaient de temps à autre un fantôme à pieds, une ombre vague venant rythmer le flot ininterrompu du monologue. Je regardais marcher ces gens sans passé, sans avenir, sans réalité. Je m’échappais par la vitrine et marchais avec eux vers une destination inconnue et sans intérêt. Soudain, au milieu du courant, quelqu’un s’arrêta puis jeta un coup d’œil aux couvertures en vrac. Dans le vrac, il y avait des noms sans signification, des sonorités, des syllabes qui ne rappellent rien et s’obstinent à vouloir figurer en couverture. Au bout d’un moment, il releva la tête et regarda dans ma direction. On ne peut pas dire que nos regards se croisèrent. Ses yeux étaient vides, laiteux, embrouillés de fumée. Son visage n’exprimait rien, ni colère, ni joie. Ses vêtements étaient gris, ses cheveux clairsemés. Mon interlocuteur finit par découvrir mon inattention et tourna la tête en direction de la vitrine, mais l’homme était déjà parti, évanoui dans un pli du caniveau, camouflé gris muraille.
- Qu’est-ce qu’il y a, me demanda-t-il, on dirait que vous avez vu un fantôme ?
- Il y avait Michel Houellebecq, il y a tout juste un instant, il regardait dans la vitrine…
- Houellebecq ? Ah oui…pas mal comme romancier, mais franchement comme poète, il vaut vraiment rien !
Très intéréssant en effet. Je ne connaissais pas ce texte. Merci Beaucoup.
Pour ma part, j'aime bien Prévert, pas tellement Houellebecq et me méfie du jugement des éditeurs...
Rédigé par : Mikaël | 27 septembre 2006 à 17:36
"Il y a de jolies filles nues, des bourgeois qui saignent comme des cochons quand on les égorge. Les enfants sont d'une immoralité sympathique, les voyous sont séduisants et virils, les jolies filles nues donnent leur corps aux voyous ; les bourgeois sont vieux, obèses, impuissants, décorés de la légion d'honneur et leur femmes sont frigides ; les curés sont de répugnantes vieilles chenilles qui ont inventé le péché pour nous empêcher de vivre. On connaît tout cela ; on peut préférer Baudelaire [...].L'intelligence n'aide en rien à écrire de bon poèmes ; elle peut cependant éviter d'en écrire de mauvais. Si Jacques Prévert est un mauvais poète c'est avant tout parce que sa vision du monde est plate, superficielle et fausse. Elle était déjà fausse de son temps ; aujourd'hui sa nullité apparaît avec éclat, à tel point que l'oeuvre entière semble le développement d'un gigantesque cliché."
Michel Houellebecq, Prévert est un con (in Rester vivant)
Intéressant, non ?
Rédigé par : Thomas | 27 septembre 2006 à 16:14