On reste frappé par la justesse mécanique, la précision sans faille d'un dispositif minimale et néamoins éloquent. Autant le précédent ouvrage de McCarthy, (Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme) qui sort ces jours-ci aux éditions de l'Olivier et qui devrait être adapté par les frères Cohen, décevait par sa trop grande secheresse stylistique et son intrigue en forme de film noir, autant ce dernier opus carbonise littéralement son lecteur. On sort ébranlé de cette route déserte et jamais la sauvagerie, qui a toujours émaillé son oeuvre, n'a été aussi bien distilée.
Alors de quoi s'agit-il, me direz-vous ? Un homme et son fils marchent de concert sur le macadam d'une Amérique hivernale et post-apocalyptique. Il est ici question de survie et de nature humaine. La simplicité de l'histoire confine au récit biblique, dont McCarthy s'est longtemps nourri. On pourrait croire à la fusion de Mad Max et de La Guerre du feu, si ce livre n'était pas écrit par un véritable poète, dont la langue sensuelle et organique transporte littéralement le lecteur dans un autre monde.
On retrouve ici l'éblouissement glauque de son grand roman Suttree, publié en 1979, ainsi que le meilleur de la Trilogie des confins (De si jolis Chevaux). Le crépuscule viscéral du premier s'alliant enfin au western violent du second. On n'est finalement pas surpris de voir la fin des temps surgir au détour de cette oeuvre désormais majeure, comme si de livre en livre McCarthy n'avait fait que tourner autour de ce décors, des marécages faulkneriens aux embuscades à la Peckinpah.
On est toujours surpris par ces phrases sans virgule qui se déroulent autour de nombreuses conjonctions de coordinations. On reste ébahis par l'absence totale de psychologisme, le métaphysique surgissant ici des verbes d'action. Dixième roman d'un auteur aujourd'hui agé de 74 ans, c'est aussi un récit, comme le dernier livre de Philip Roth, hanté par la mort individuelle et le crime de masse, comme si l'âge de l'auteur trouvait un écho dans le spectre du 11 septembre. Avec eux deux, c'est toute une génération d'écrivains américains qui voient aujourd'hui leur vieillesse et le terme de leur carrière coincider avec la perspective d'une destruction globale.
"Once they were brook trout in the streams in the mountains. You could see them standing in the amber current where the white edges of their fins wimpled softly in the flow. They smelled of moss in your hand. Polished and muscular and torsional. On their backs were vermiculate patterns that were maps of the world in its becoming. Maps and mazes. Of a thing which could not be put back. Not be made right again."
Sublime !
pas de problème,
mieux vaut être en désaccord sur un sujet passionnant que du même avis à propos de banalités...
je connais bien McCarthy et je reste convaincu que son génie réside dans une ligne médiane séparant le lyrisme faulknérien de la sécheresse allégorique. Ici, il penche un peu trop à mon goût du second côté, mais tout est affaire de sensiblité personnelle. Je me permets de faire la fine bouche parce que j'attends beaucoup de lui, de la même manière que Cities of the plain m'avait déçu.
Rédigé par : mikael | 14 février 2007 à 22:46
Viens juste de terminer No Country For Old Men. Je dois dire que les reproches que tu fais au roman au tout début de ton article m'ont paru être les principales qualités de celui-ci. Jamais un mot de trop dans la narration, réduite au strict minimum, comme écrasée par le poids du soleil texan. Le tout dérive paisiblement et seuls les monologues de Bell d'une effarante simplicité, servent de point d'ancrage tant justement le coeur du récit parait éclaté entre les autres protagonistes ; choisissant puis délaissant ses personnages sans que rien ne semble réellement motiver le choix. Comportement erratique de la narration, à l'égal de celui de l'homme que veut décrire Mc Carthy. Moss décide en un quart de seconde de prendre l'argent et par là même de mourir. Sa mort est toute entière contenue dans cet acte, que pourtant il assume pleinement, tout en en découvrant progressivement les conséquences....mais je ne veux pas m'imposer plus longtemps.
Bien à toi
Rédigé par : Thomz | 14 février 2007 à 20:08