« Tout est relatif », disait le vieil Albert en nous tirant la langue.
La plupart des candidats à la publication imagine deux mondes contigus et séparés par un mur identique à celui qui divisait Berlin. D’un côté, l’oppression de la masse indistincte, et de l’autre, succès, gloire et reconnaissance.
Qu’on perce un tunnel, fabrique un ballon ou vole un uniforme, le défi reste le même. Il faut passer la frontière qui nous tient dans le malheur.
Une fois passé l’obstacle infranchissable, on réalise que les murs se dressent l’un à la suite de l’autre, cercles concentriques sur le faîte desquels se tiennent ceux qui nous on précédé. Cet autre monde, que l’on croyait naïvement meilleur et surtout homogène, se subdivise en réalité en fractions plus ou moins importantes. Les barrières successives se déploient autour d’un centre que personne n’a jamais vu ni atteint, mais auquel tout le monde croit, dur comme fer. Ceux qui ont publié une fois veulent recommencer, ceux qui ont publié plusieurs fois veulent de bonnes critiques, ceux qui ont des papiers voudraient connaître le succès populaire, ceux qui ont du succès veulent un prix, ceux qui ont eu un prix veulent l’Académie…que sais-je encore ? traduction, poche, Pléiade, c’est sans fin. L’homme est ainsi fait. Ces espaces étroits et clos où s’ébattent les auteurs par affinités catégorielles ne sont pas uniquement une vue de l’esprit, une simple image. Ce sont aussi des niveaux hiérarchiques induisant protocole, bienséance et règles de bonne conduite. Comme il n’y a pas de classement ATP des écrivains, l’expérience, le succès critique ou populaire font office de référents. Très vite, chacun sait où est sa place, ce qu’il peut se permettre et avec qui. Publier, c’est donc aussi émigrer, d’une certaine manière, quitter le peu qu’on a dans un pays que l’on connaît, pour repartir de zéro dans un ailleurs plein de promesses, mais hostile et déjà surpeuplé.
@Juliette Mezenc
De rien. C'est aussi un des propos de mon livre. Choisir l'anonymat qui préserve d'une certaine manière l'identité, ou bien passer le Rio grande (Je dis "Rio Grande", car dans un rêve que j'ai fais il y a quelques mois, j'imaginai mon éditrice en passeur faisant traverser le fleuve à des immigrés clandestins) et devenir "quelqu'un", mais pas forcemment Soi. À partir du moment où l'on a une existence publique (même à une si petite échelle) commence un terrible malentendu. Certes, la publication confère "une place dans le monde", mais rarement celle que l'on attendait. On pense vouloir quelque chose, et puis c'est autre chose et autre chose encore. C'est peut-être la mort que l'on attend, tout bêtement...
Rédigé par : Mikael | 20 octobre 2007 à 13:04
Je lis aujourd'hui dans "Lettre à D." d'andré gorz "Tu as souvent dit que ce livre m'avait transformé à mesure que je l'écrivais (...). Je pense que tu te trompais. Ce n'est pas de l'écrire qui m'as permis de changer; c'est d'avoir produit un texte publiable et de le voir publié. Sa publication a changé ma situation. Elle m'a conféré une place dans le monde (...) elle me faisait accéder à l'existence en tant même que je m'étais décrit, écrit dans mon refus d'exister. Ce livre était le produit de mon refus, était ce refus et, par sa publication, m'empêchait de persévérer dans ce refus".
J'ai l'intuition que la publication peut être, dans certains cas, ce pas décisif. Pour ceux qui comme moi (et je crois ne pas être la seule !)lisent les lettres de refus ainsi : vous n'avez pas le droit d'exister en tant qu'écrivain, ou pire en fonction du moment : vous n'avez pas le droit d'exister. En être conscient aide un peu.
Autre chose, votre post est pessimiste et en même temps il permet de relativiser... on est tous, publié ou non, en attente de quelque chose (beckett a tout dit) et c'est tant mieux. L'essentiel étant d'attendre avec grâce, cad sans se racornir, en restant attentif et vivant. Ce qui est, entre nous, furieusement difficile, non ?
Merci.
Rédigé par : juliette mézenc | 20 octobre 2007 à 11:12
@Feuilly
Le truc, c'est qu'il n'y a pas forcemment de porte...Il faut sauter l'obstacle.
Rédigé par : Mikael | 19 octobre 2007 à 11:44
Ces cercles concentriques font penser à un labyrinthe. Nul ne sortait vivant de celui du roi Minos. Ici, il faudrait plutôt trouver l’entrée. Pas la moindre Ariane pour nous tendre un fil.
Et les cercles se transforment alors en enfer dantesque.
Rédigé par : Feuilly | 19 octobre 2007 à 11:36
Quelques fois, oui. C'est généralement très bref. Longtemps après, il arrive de s'en souvenir. Alors, on se dit, Merde ! c'était donc ça...
Rédigé par : Mikael | 18 octobre 2007 à 12:05
"protocole, bienséance et règles de bonne conduite"
Tout ce qui me plaît.
Pour le reste, il arrive d'être satisfait, heureusement.
Rédigé par : Brg | 18 octobre 2007 à 10:43
Juste, oui.
Notamment sur ce "centre" mythologique...
Sachons garder au moins un pied en dehors du cercle, là où est la vie dont on peut faire de vrais livres.
Rédigé par : secondflore | 17 octobre 2007 à 19:05
ça ne me tente pas tout de suite, pas encore...
Je me la garde tout de même pour la bonne bouche, pour le dessert, quand j'aurais 80 balais.
je briguerai le siège de Beigbéder (admis en 2032 et décédé quelques mois plus tard) je devrai faire son éloge funèbre.
Ensuite, je publierai un roman pornographique où l'on viole des petites filles pour montrer que je suis encore vert. Je ferai encore scandale...peut-être ? Ainsi passera le Temps, en attendant sagement la mort...
Rédigé par : Mikael | 16 octobre 2007 à 20:25
Heu pas l'académie, quand même, me fais pas croire que ça te tente !
Cette restriction mise à part, c'est vrai ce que tu dis, c'est pas reluisant, mais c'est vrai.
Rédigé par : emmanuelle | 16 octobre 2007 à 20:17