Je crois que le sentiment qui prédomine chez moi est celui de l'inadéquation. Je ne me souviens pas m'être jamais senti à ma place où que ce soit. Je gène, j'encombre, les bras ballants, le regard vague. En tout lieux, ce sentiment d'étrangeté perdure. On n'est jamais véritablement à soi, en soi, mais toujours dans un espace occupé de longue date par un autre. J'ai longtemps pensé que l'écriture et la publication seraient des remèdes à cette forme de schizophrénie, mais de mon point de vue, l'auteur n'a plus sa place dans le monde éditorial. Un singe en hiver, aurait écrit Antoine Blondin. Il embarrasse avec ses états d'âme, sa ménagerie de personnage et ses situations. Il tend maintenant à occuper un territoire cher et raréfié que l'on réserve à des locataires solvables. C'est une pièce rapportée dont il faut encore s'occuper bon gré mal gré en attendant le jour où cette formalité ne sera plus indispensable. Ce problème une fois éliminé, la machine parfaitement huilée pourra dès lors tourner à plein régime. Cette réflexion me rappelle une phrase prononcé par Tim Robbins, interprétant un producteur dans The Player de Robert Altman : « I was just thinking what an interesting concept it is to eliminate the writer from the artistic process. If we could just get rid of these actors and directors, maybe we've got something here. » L'édition étant désormais si éloigné de la Littérature, ce malaise personnel a tendance à s'amplifier. Ce que j'ai longtemps cru être mon véritable foyer n'est finalement qu'un transit de plus, à peine une chambre d'hôtel qu'on occupe une seule nuit.
Marchant il y a quelques jours dans la pénombre de l'aquarium tropical, j'éprouvais à nouveau ce sentiment de bilocation. J'étais à la fois l'enfant que sa mère emmenait voir les poissons, immortels dans leur similitude indéchiffrable et l'homme que je suis finalement devenu, emmenant à son tour son enfant, dans les mêmes endroits, pour les mêmes raisons obscures. Les crocodiles, parfaitement immobiles depuis 1948 seront encore là dans une génération ou deux, s'économisant au maximum, ne clignant des yeux qu'une fois par jour. Ils étaient là bien avant ma naissance, dans la même position, respirant l'air humide avec parcimonie. Ils étaient là, égarés, loin, dans la torpeur artificielle de la plomberie occidentale, sans aucun espoir de retour, ni de départ vers une contrée encore sauvage, n'attendant rien que la fin d'un avenir interminable.
que dire ? c'est tellement vrai et fort de la manière dont tu l'exprimes ! Que faire ? Trouver des solutions, certes, il faut.
Lesquelles ? Là est encore la question. Mais, moi, dans tous les cas, je suis certaine que tu es un véritable écrivain qui sera reconnu un jour ou l'autre... Je te reconterai de vive voix à notre diner d'octobre comment, hier soir, une éditrice nous a raconté à JN et moi, la façon dont un éditeur flaire le "produit" éditable, consommable et vendable... c'était... comment dire ? Délicieux !
caroline
Rédigé par : hoctan | 12 septembre 2008 à 18:59