La gare routière de Tel Aviv, ou « tahana merkazit » étend ses rampes de béton sur le paysage urbain comme des tentacules monstrueuses. Le bâtiment tout entier semble être une créature issue de l'infra monde cher à Lovecraft, une métastase de ciment et de poussière agglutinés. Cette description issue de l'Appel de Cthulhu semble d''ailleurs parfaitement lui convenir : « Nul ne saurait décrire le monstre ; aucun langage ne saurait peindre cette vision de folie, ce chaos de cris inarticulés, cette hideuse contradiction de toutes les lois de la matière et de l'ordre cosmique. » Ses six étages, ses galeries marchandes pour la plupart abandonnées, ses boutiques closes, ses néons crépitants en font un vaisseau fantôme où junkies, prostituées, et immigrants chinois se mêlent aux soldats éthiopiens portant l'uniforme de Tsahal.
On se perd facilement dans ce dédale sans minotaure et sans signalisation. La construction de l'édifice dura vingt cinq ans, dont vingt ans d'interruption. L'architecte Ram karmi, lui-même, pense avoir perdu les plans. On dit que personne n'en a jamais exploré la totalité, tant les culs de sac, les impasses et les corridors obscures succèdent au cafétérias décrépites, aux immenses salles d'attente où patrouillent en permanence les équipes de déminage. Tout semble avoir été conçu en dépit du bon sens le plus élémentaire, les espaces s'enfilant dans une suite sans logique. Le manque de financement a pourtant rendu l'achèvement de « l'oeuvre » impossible et l'on n'ose imaginer ce qu'il en serait si les comptables ne l'avait arrêté.
À Bruxelles, le palais de justice, plus vaste que la basilique Saint-Pierre de Rome, trône au sommet d'une colline, dans le quartier des Marolles. C'est une ziggourat carthaginoise, dont les dimensions semblent avoir été choisies pour accueillir des demi-dieux. Le plafond de la salle des pas perdus culmine à cent mètres de haut. Les jardins d'Amilcar, chers à Salammbô, tiendraient tout entier sous la coupole monumentale qui chapeaute l'ensemble. L'espace règne ici en maitre, les salles d'audience minuscules semblant égarées au milieu d'un sanctuaire dédié au vide. On dit de Joseph Poelaert qu'il en fit une porte spatio-temporelle destinée à rejoindre une ville parallèle, sise dans un monde imaginaire.
Il en est finalement des bâtiments comme des livres. Les bâtiments sont des livres que l'on occupe physiquement, voilà tout. Du goût commun pour le grandiose et le monstrueux. L'un ne va jamais sans l'autre. Je reste avant tout fasciné par cette tératophilie urbanistique et textuelle, le désir quasi pathologique pour la difformité, l'albinisme. Cela ne cesse jamais vraiment. Quand on a fini de chasser la baleine livide, on se tourne alors vers les éléphants blancs.
Merci à vous deux.
Rédigé par : mikael | 23 mars 2009 à 22:45
Même commentaire !!! J'y souscris tout à fait... sauf que je sais combien cela prend de temps. Sachons être patients, donc...
Rédigé par : Majuscule | 23 mars 2009 à 19:36
Vos textes, subtils, sont rares, et c'est fort dommage. Je les attends...
Rédigé par : lataupe | 23 mars 2009 à 17:06