Dans le triangle d'or du sixième arrondissement, avoir un agent littéraire est une pratique encore peu répandue. Entre autre avantage, elle confère à l'auteur la possibilité de se rendre à des fêtes où, en temps normal, personne n'aurait songé à le convier. Il faut savoir qu'à de rares exceptions près, les auteurs sont d'effroyables barbons au teint blafard et à la langue chargée qui vous pourrissent une soirée en moins de deux. En général, on se garde bien de les inviter où que ce soit. On parle d'eux, et c'est déjà pas mal.
Rendez-vous était donc pris. Anne-Marie avait tout arrangé. elle allait enfin pouvoir introduire son poulain dans le Monde. Lorsque je la vis extraire de son sac un filofax aux allures de bottin, je compris immédiatement que j'étais fait comme un rat. Derrière son bureau surexposé, l'éditrice ouvrit également son agenda de ministre. Au bout de quelques secondes, elles se tournèrent toutes les deux vers moi, l'oeil inquisiteur, le rictus en embuscade.
-Vous ne notez pas la date, me demanda l'éditrice consternée.
-Oh, vous savez, moi j'ai une vie sociale complètement nulle, alors je me rappellerai facilement de la date, répondis-je.
-Ah oui ? Bien sûr, un auteur ! Suis-je bête !
Je sortais du travail, en jean, baskets et sentant la transpiration. J'allais m'agglutiner à cette humanité cosmopolite qui peuple les wagons du métro. La cour de l'hôtel particulier était splendide, début dix-septième, avec de larges façades claires. Une foule de gens étourdis braillait dans cet espace clos et leur rire se réverbérait en une multitude d'échos fragmentés. Évidemment, tout le monde était en tenue de soirée. Anne-Marie était déjà là, ondulant comme un fluide dans une robe rouge archi-moulante, voletant de groupe en groupe. Comme à son habitude, elle sentit immédiatement ma présence et se jeta sur moi les bras ouverts. Elle entreprit ensuite de me présenter aux convives, n'omettant aucun détail de ma "brillante" carrière littéraire.
Raphaela se cachait derrière son verre, épiant les faits et gestes de l'assistance. Son désarroi me parut aussitôt réconfortant. Nous étions donc au moins deux à ne connaître personne. Anne-Marie m'expliqua qu'elle était le nègre d'un écrivain célèbre dont je ne peux répéter le nom ici. Ne fumant pas, j'ai toujours eu la plus grande difficulté à donner l'impression d'être occupé lorsque je m'ennuie ferme. Je décidais par conséquent d'attaquer le Bourgogne alligoté par la face Nord. Dieux, que la pente était raide ! Au bout du quatrième verre, je commençais à me détendre sérieusement. Le maître de maison prononça un petit discours de bienvenue et j'applaudissais à tout rompre, tandis que Raphaela, profitant de la diversion s'éclipsa sans même me dire au-revoir. Surprenant une conversation qui ne m'était pas destinée, je me greffais alors à mes voisins et monologuait un bon moment sur des sujets aussi divers et variés que la reproduction in vitro des mouches en Nouvelle Guinée. On me regardait d'un drôle d'oeil. Loin d'avoir terminé ma diatribe, j'évoquais d'innombrables voyages et concluais sur l'invraisemblable similitude entre San Cristobal de las casas et la Fête de l'Huma...peut être était-il temps de partir...
Par les temps qui courent, les jeunes filles de bonne famille ne portent plus col rond et jupe plissée. J'en ai fréquentées pas mal, je sais de quoi je parle...
Rédigé par : mikael | 05 juin 2006 à 17:17
Comment veux-tu faire coller l'image d'une Anne-Marie avec un fourreau rouge ? Tu n'aurais pas pu trouver plus vieillot ?
Affectueusement, ton agent préféré.
Rédigé par : Anne-Marie | 05 juin 2006 à 16:37