Tout devrait logiquement s’arrêter là. À quoi bon s’appesantir sur l’absence ? Un seul mot suffirait : « Non ». Peut-être même pas de mot du tout, une zone hachurée derrière laquelle on pourrait imaginer un mot, n’importe lequel, XXXXXXXXXXX, comme dans les journaux censurés, finalement plus évocateurs que ceux de la presse libre. Pour le dire mieux encore, il faudrait alors du vide, du blanc. ( ). Étrange comme la négation cherche malgré tout à se raconter, empreinte laissée par un corps disparu dans la mollesse du matelas. La volonté de ne pas faire est tout de même quelque chose. Il n’est véritablement rien qui soit le rien véritable. C’est pourquoi mon refus se dérobe toujours un peu plus. Les mains pleines de cette antimatière, il me faut décrire encore et encore le fantôme laissé par l’avortement.
Les astronomes eux aussi évoluent au bord du gouffre, Ils cherchent leur masse manquante, celle qui se dérobe à l’observation. On la fourre dans les particules exotiques, certains rayonnements fossiles…Il faut bien la mettre quelque part !
Décidément, la littérature est bien à l’image de cet univers-là…points de suspension et quantas ! L’essentiel des livres rêvés n’a pas été écrit. L’essentiel des livres écrits n’a pas été publié. L’essentiel des livres publiés n’a pas été lu et l’essentiel du texte lui-même se situe finalement hors champ. Lorsque je referme un livre je pense désormais à cette matière noire plus abondante, plus massive et pourtant inaccessible. Pour chaque centaine de pages, un millier de pages invisibles. Pour chaque mot, combien de phrases informulées ? Les limbes sont saturées de ces discours interrompus, de bribes et de fragments.
« L’essentiel est invisible pour les yeux », soit ! Mais que faire maintenant pour l’accepter et surtout comment interroger Saint-Ex’ dans son tombeau marin ?
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