J’étais adolescent. Tout le monde écrivait peu ou prou. Le journal intime me faisait alors horreur, la poésie mélancolique et les peines d’amours itou. L’idée même que la littérature pût être une phase ordinaire, une étape universelle dans le développement de chaque individu, m’inspirait un profond dégoût. C’était comme voir les objets du culte tournés en dérision par les barbares, traînés dans la boue par une foule impie.
Comment être sûr alors que je ne faisais pas partie malgré moi de la majorité des fidèles qui se rend à la messe sans comprendre et sans croire ? J’étais terrorisé par l’éventualité du caprice. Pêché d’orgueil, probablement…
L’abstinence était donc la voie unique. J’éprouvais mon désir, le mettais au supplice. Je n’écrivais pas une ligne, pas un seul mot, nourrissant en mon sein des volumes fantômes jusqu’à épuisement total de la concurrence. Le paradoxe était sidérant. Je devais m’empêcher d’écrire pour être véritablement écrivain, me taire pour ne pas galvauder la parole. Le silence était déjà une forme de bataille, ma palissade de pieux contre les Huns. Il me semble à présent que ce que j’ai écrit durant cette période où je n’écrivais pas est certainement ce que j’ai produit de meilleur. Je continue à m'en nourrir aujourd’hui.
Tout s’est passé exactement comme prévu. À dix-huit ans, les poètes maudits sont rentrés dans le rang des classes prépa et j’ai pu enfin jeter mon bâillon aux orties. J’étais de nouveau à contre-courant. Je m’adonnais maintenant à cette passion délaissée par le nombre. La mode une fois passée, devenait démodée. De ringard, j’étais soudain devenu puéril, me livrant sans retenue à d’affreux enfantillages. En définitive, je m’en foutais pas mal. C’est uniquement à grands coups dans la gueule que l’on s’affranchit du commun. Il faut ce qu’il faut !
LU!
Ecris.
Si tu y arrives, je me remets à peindre.
Rédigé par : SOPHIE | 01 août 2006 à 04:23