Enfermé dans la bibliothèque, je n’ai pas lu un seul livre. Je me suis assis calmement au milieu des rayonnages. Le monde entier sentait le papier sec et le carton moisi. L’air était saturé de cette poussière fine et écoeurante. La pénombre devint rapidement la nuit. La loupiote de l’issue de secours brillait encore comme un fanal distant, une lumière verte que je n’associais pas encore à Gatsby. Il me fallait imposer cette ordalie à mon enfance. C’était l’épreuve d’un feu invisible et silencieux que je m’étais minutieusement choisi. Loin d’être seul, je me trouvais alors dans la foule, dans un vacarme terrible. Les milliers de voix tapies entre les pages s’exclamaient toutes en même temps. Des milliers de lecteurs étaient là, parcourant les allées, lisant tout haut, braillant à tue tête. L’espace était clos. J’étais dans une chambre photographique, une chambre d’écho où ne pénétrait plus la lumière, mais les sonorités confuses de ces langues emmêlées. Je devais maintenant braver le chaos sans chronologie et réduire la polyphonie à un simple monologue, un fil conducteur auquel me raccrocher pour traverser la nuit…Il fallait réduire au silence les discours concurrents et trouver dans la mêlée une parole à saisir. En un mot, comme en cent, je devais tuer à moi tout seul tous les veaux d’or de tous les temps.
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