À l’heure où manipulations et mensonges font le jeu des médias, un attrait obsessionnel pour la vérité semble voir le jour. La réaction ne s’est pas faite attendre. C’est pourtant une quête illusoire et immature tendant vers un objet qui n’existe pas. Il ne s’agit plus désormais de déjouer les faux-semblants, mais plutôt d’encourager la description d’une réalité unique et objective. On privilégiera par conséquent le document et le témoignage, au détriment de la littérature. La fiction est subitement devenue suspecte, pernicieuse dans un monde décidément malade de sa propre existence.
Désormais, on reproche même aux écrivains de faire leur métier. Il est vrai que le récit d’une authentique banalité sera toujours mieux accueilli que le meilleur des contes. L’imagination est aujourd’hui une qualité désuète et mal venue. J’en veux pour preuve la mésaventure survenue à l’écrivain J.T. Leroy, où l’on notera que l’attrait morbide pour la vérité contribue à engendrer de nouveaux mensonges. Frustrée de ne pouvoir publier sa production consacrée aux bas fonds, elle décida d’inventer un personnage d’écrivain transsexuel incarné par sa sœur. Les romans, ainsi transformés en épisodes successifs d’une fausse autobiographie, devinrent immédiatement des best sellers. Avis aux écrivains amateurs en mal de publication ! Malheureusement, le pot aux roses fut rapidement découvert et son instigatrice vouée aux gémonies par un public toujours avide de sensations. Peut importe que le récit fut crédible, que les personnages de toxicomanes et de prostituées fussent vraisemblables. Les zélateurs du texte devinrent précisément ses détracteurs. On demande à l’auteur d’être l’acteur involontaire, celui qui subit et raconte les avanies, celui qui a vécu et le fait ensuite savoir. Bon sang, il est loin le temps des moralistes. C’est la légitimité même de l’artiste qui est ainsi remise en cause. Tirer les ficelles du texte pour mener le lecteur en un lieu précis est désormais contraire à la morale.
Serait-ce par conséquent la fin de l’empire du roman ? La création a pourtant toujours été le cataplasme qui console du réel, mais se débarrasser du remède, supprime-t-il la maladie ?
À la question, votre roman est-il autobiographique, il faut par conséquent répondre « oui », notez-le bien, quitte à se perdre ensuite en explications alambiquées. Malraux pensait que « l’artiste était le rival du monde ». Il serait aujourd’hui complètement has been et l'on refuserait même de l’inviter chez Jean-Luc Delarue. Le temps du créateur, du démiurge, semble être révolu, voici maintenant celui du transcripteur.
Argh, tu as percé mon secret, Madame Bovary...c'est moi !
Non, sans blague, je suis tout à fait d'accord avec toi et si Gustave se retrouvait dans Emma, je suis à mon modeste niveau le protagoniste de mon roman, mais aussi tous les autres personnages, le décors et même les objets. À tel point que le roman ne parle en réalité que d'une seule et unique chose, c'est à dire de son auteur.
Comme il est impossible d'évoquer le monde extérieur autrement que par l'intemédiaire de sa propre expérience, le récit n'est qu'un reflet d'un monde interne qui cherche à se projeter sur divers support. Quand je parle de la mer, je n'évoque pas cette grande étendue d'eau, mais je convoque les souvenirs et les appréhensions liés à cet élément.
Il est donc impossible de parler faux, tout discours me trahit et en dit long sur moi à ceux qui savent me lire. Peut importe que les évènements relatés soient "véritablement" autobiographiques. Par conséquent, la fiction est forcemment intime, forcemment authentique, forcemment réelle...mais seuls les écrivains semblent l'avoir compris...
Rédigé par : Mikaël | 01 août 2006 à 22:24
Certaines personnes ont été déçues que je n'ai pas d'enfant handicapé...
En ce moment, je finis un texte dont la narratrice est une transexuelle (Mickaël, je préfère dire "une" quand une fille se débarrasse de son corps de garçon, et "un transexuel" quand c'est un garçon qui se débarrasse de son corps de fille, mais la plupart des media et des "gens" continuent à faire un faux accord de genre, passons, puisque de toute façon Leroy n'était ni une ni un). Donc, je te disais, c'est une suite de circonstances très particulières et très extraordinaires qui m'ont conduite vers ce personnage, mais je m'attends bien sûr à des questions du genre "à quel âge vous êtes vous faite opérer ? ". Et je t'avoue, ça m'énerve et pourtant, tu le sais, tout est "vrai" dans les livres. Par exemple, au niveau des sensations de nos personnages, ce sont souvent les nôtres non ?
Je ne crois pas à l'auto-fiction, on "se" met de façon plus intime dans des romans purement fictionnels car justement on peut dire "c'est une fiction". Les détracteurs de Leroy se trompent : il n'y a pas plus intime qu'une fausse autofiction. Il n'y a pas plus proche d'un auteur qu'un personnage de (même "science")-fiction.
Je n'ai pas d'enfant handicapé mais les gestes/pensées/incohérences de la mère à l'enfant dans mon dernier livre, se sont bien les miens.
Et toi, ne me dis pas que tu n'es pas dans Omicron... ?
Rédigé par : emmanuelle Pagano | 01 août 2006 à 21:59