Je parle peu et j’écris trop, paraît-il. Un jour, Anne-marie m’a même qualifié de graphomane, ce qui m’a particulièrement surpris. Moi qui ai toujours l’impression de ne pas en faire assez, de ne pas être à la hauteur, qui passe à mon temps à rajouter. (Il y a les écrivains qui retranchent et ceux qui ajoutent, les sculpteurs comme Michel-Ange et les modeleurs comme Rodin). Je parle peu et j’écris donc trop. Avez-vous déjà remarqué comme la parole était une alternative à l’écriture ? Chez moi, l’acte d’écrire provient d’une accumulation de sentiments et d’images à qui j’offre en définitive une possibilité de s’exprimer. Je canalise le flux, j’organise le sens unique. Si un dérivatif vient à se présenter, si je ne suis pas vigilant, si on offre à mon inattention passagère un itinéraire de délestage, la retenue fout le camp en empruntant le chemin le plus court et le plus facile. Ce raccourci est bien souvent la parole. Rien de tel, en effet, qu’un bon mot ou qu’une histoire savoureuse pour bousiller un projet littéraire. Comment dit-on déjà : « ce sont ceux qui en parlent le plus qui en font généralement le moins ». Si je dévoile mon intention avant même de commencer à travailler, je sais que l’ambition est mort-née. Je n’irais plus jusqu’au bout. C’est comme si l’énergie nécessaire se débinait sous mes yeux, aspirée par la bonde. Alors je parle peu, je parle moins. Je parle de moins en moins. J’ai la trouille de me vider par la bouche comme une baignoire qu’on rince. Pas étonnant après tout que les cultures se soient opposés à ce sujet, tradition orale contre scribes sumériens, nomades du désert contre sédentaires des villes. Je cherche à figer la parole vivante, comme un photographe désireux de choper les photons. Je retiens l’instant et le triture. Je me maintiens en équilibre. Les autres passent à la queue leu leu comme des caravaniers pourchassés par l’harmattan, des vaisseaux qui s’en vont...Les hâbleurs ne sont pas mes ennemis, mais je les regarde avec curiosité et inquiétude. L’écriture se situe nettement du côté de la contemplation. En fin de compte, je suis une Paimpolaise.
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