Le monde tangible me renvoie souvent au texte, particularité que je partage avec nombre de mes personnages. (Il existe une hérédité littéraire qui semble se transmettre aussi bien que la double hélice d’ADN). Mes souvenirs sont pour beaucoup des résidus de lecture, des bribes d’écriture, tout un canevas de fiction qui s’infiltre et se substitue au passé. Un courant d’air, un parfum, une lumière et je me retourne invariablement vers cette besace pleine de rêves qui est devenue pour moi un genre de référent, comme il existe des appartements témoins. À l’aune de cette mémoire d’emprunt, je vérifie sans cesse la conformité, j’estime la réalité.
Impossible par conséquent d’échapper à ces incarnations diverses qui font autant parties de mon existence que les évènements vécus. J’ai aimé cent fois, vécu sur un galion, escaladé des montagnes, résolu des problèmes philosophiques et marché sur la lune. Lire, c’est vivre plusieurs vies à la fois. Je suis tellement plein de ces rencontres, de ces exploits et de ces réflexions que j’en ai perdu toute candeur. Bien heureux les innocents littéraires qui n’ont rien lu et croient tout inventer. Le monde est mal fait, car ceux qui ne lisent pas n’écrivent pas non plus. Les écrivains, quant à eux, sont donc des lecteurs condamnés à rabâcher sans cesse les discours d’autrui. De nouveau, cette sensation étrange de marcher sur des corps, d’être au sommet d’un gigantesque ossuaire, de citer involontairement.
Je suis peu de chose, des mots qui s’agrègent, un conglomérat hétérogène. Tout en écrivant ici, ne suis-je pas entrain de citer quelqu’un qui déjà répondait aux anciens qui déjà...filiation intertextuelle. Tout est dit, je crois. Il faudrait avoir le courage rimbaldien de se taire, mais je suis lâche et orgueilleux. Lâche, car je refuse de sacrifier mon bavardage sur l’autel de la bibliothèque universelle. Orgueilleux, car certaines postures appartiennent à leur créateur encore plus que leurs textes et cesser d’écrire serait plagier le silence de Rimbaud. Plagiaire pour plagiaire, Mieux vaut encore parler avec des mots d’emprunt que s’enfoncer dans un mutisme d’importation. Reste tout de même le plaisir évident de se répandre en considérations multiples. Ça n’est pas rien. Voilà, que les choses soient claires, j’ai beau être la marionnette qu’anime un ventriloque lettré, vous m’aurez dans le creux de l’oreille pendant un bon bout de temps ! Je joue le rôle de l’acouphène.
Je crois que les bonobos savent déjà taper à la machine. C'est comme ça qu'est né Internet. D'ailleurs, moi-même, ne suis-je pas un bonobo me faisant passer pour un auteur ? ça n'est pas si difficile après tout. Vous les humains vous prenez tellement au sérieux avec votre Littérature !
"J'épluche dessous Venise quasi Ave Milan"
...sept milliards, ça y est, le compte est bon !
;)
Rédigé par : Mikaël | 07 août 2006 à 17:27
"J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans" (incipit d’un des Spleen de Baudelaire)... les réminiscences littéraires, ces mouvements d'émergence-résurgence tels que les appelait Michaux, donnent aux écrits, quels qu'ils soient, et indépendamment de leur qualité, une densité qui les rend nécessairement intéressants à fouiller, creuser, dévergonder… jusqu’à y trouver la substantifique moelle, le point nodal, que l’on gardera ou non, que l’on célèbrera ou non, à l’envi, et en fonction de ces affinités électives qui nous caractérisent et nous différencient les uns les autres… tout a été dit ?!… mais est-ce bien dans cet ordre-là ? de cette manière-là ? avec cet angle-là ?… les potentialités du langage sont infinies : on a estimé que si on apprenait à une énorme quantité de singes (des Bonobos sans doute ; quelque chose comme sept milliard, je crois) à taper à la machine et qu’on les mettaient devant durant de nombreuses d’années (j’ai oublié les chiffres exacts), après X temps (très long) on avait 99,99999% de chance de ne pas retrouver la phrase de Baudelaire citée plus haut (ou une autre je sais plus, peut-être que c’est avec l’incipit de la Recherche ; la littérature ne peut pas être le fruit d’une génération spontanée…
Rédigé par : Tétanos | 07 août 2006 à 09:11
Dontacte !
Je t'asticote pour le plaisir...
En tout cas, quelle réactivité...j'étais sur ton site pendant que tu étais sur le mien.
Merci de m'offrir tes réflexions toujours intéressantes et bienvenues.
Rédigé par : Mikaël | 06 août 2006 à 20:01
PS : si tu "descends" (c'est-à-dire si tu montes) pour tirer ça au clair prévoit une petite laine et une polaire, ça caille.
Rédigé par : emmanuelle Pagano | 06 août 2006 à 19:54
Ben justement, je dis que tu es le contraire de ce Marc quelque chose.
Rédigé par : emmanuelle Pagano | 06 août 2006 à 19:52
Ahlala, attention, si tu me traites de Marc Levy, je saute dans la voiture et descends dans la nuit pour qu'on tire ça au clair ;)
Bien sûr, tu as raison; je me fais l'avocat du diable (position que j'affectionne et revendique) et rêve tout haut, comme Rousseau, "d'un bon sauvage" idéal qui en réalité n'existe pas.
Seulement, dans ma famille, on lit comme on boit chez les Lantier. Au fil des générations, ça finit par laisser des marques, des troubles du comportement, la bosse du lecteur si tu préfères. ça n'est pas la banalité qui me terrorise, je me suis fait une raison, mais l'impression d'être une outre gonflée de mots, prête à éclater.
Dans Brazil de Terry Gilliam, il y a une scène que j'adore et qui me terrorise. Robert De Niro marche dans la rue, un papier gras se colle à sa chaussure, puis un papier d'emballage, un quotidien usagé. Bientôt, il se retrouve complètement enveloppé de papiers, mais lorsque cette masse informe se dissipe sous l'effet du vent, le personnage a disparu.
Rédigé par : Mikaël | 06 août 2006 à 19:45
Tu as tellement raison et tellement tort, Mickaël.
Il y a un type (un "auteur de best sellers) qui se vante d'écrire sans lire, un certain Marc L. Il dit que c'est pour ne pas être influencé.
Or c'est le meilleur moyen d'écrire "comme tout le monde" (ce qu'il fait).
Ne pas connaître ce qui a été écrit nous amène a écrire sans personnalité.
Quand je travaille avec des sixième sur la "singularité", voilà ce qu'il se passe : je dis à certains élèves au travail peu original qu'ils ont copié machin et machine qui sont dans une autre classe (leur travail est effectivement identique et je le leur montre). Ils s'insurgent : "mais madame alors comment on aurait fait pour voir leur travail ?!" Je leur explique : c'est justement en regardant bien attentivement le travail des autres qu'on arrive à la singularité (ce que je leur fait faire ensuite). Sinon, on est tout de suite dans la réponse immédiate à un sujet, celle de "tout un chacun". La première idée qui vient à l'esprit est aussi l'idée du "premier venu" : elle vient à l'esprit de tout le monde, c'est le "banal", le cliché, les idées toutes faites ou encore les "premiers émois artistiques". Il faut donc regarder et regarder et regarder encore pour se faire son propre regard et son propre "réponse".
Il faut lire et lire et lire encore pour écrire de façon personnelle, justement.
"Imiter les anciens pour être inimitable" (Winckelman), peut-être pas, mais regarder et lire "les anciens" pour ne pas faire comme eux (tout en les portant, bien sûr).
surtout pas "bienheureux les innocents littéraires" . D'ailleurs l'art brut n'existe pas, tout artiste vrai (tout vrai écriavin) porte une culture riche (même ceux que l'on a casé dans l'art brut).
Tu crois pas ?
Rédigé par : emmanuelle Pagano | 06 août 2006 à 15:00