J’habite Paris. Je ne suis pas venu ici attiré par les lumières de la ville.
J’y suis née, j’y ai grandi. J’y suis attaché comme un paysan à sa terre et pourquoi devrais-je en avoir honte ? Que la cité jacobine ait confisqué tous les pouvoirs depuis mille ans, que les éditeurs et les journalistes y soient concentrés, ce sont là des faits que je déplore, mais contre lesquels je ne puis rien.
Pour beaucoup c’est l’enfer, pour certains autres le paradis. Je ne fais aucun prosélytisme et suis heureux de constater la diversité d’opinions, mais faudra-t-il que nous nous battions entre écrivains des villes et écrivains des champs pour qu’un respect mutuel s’impose ? C’est encore Giono contre Morand, Panturle contre l’Homme pressé, tous rats de bibliothèque en fin de compte. Revendiquer un héritage culturel, des traditions, un accent sont pour moi des choses impossibles sous peine d’être cloué au pilori. Le « régionalisme » est une revendication légitime et le « parisianisme » une injure.
On nous accuse de faire un distinguo entre quartiers, de créer des nuances là où s’exerce au contraire l’uniformité monstrueuse de la ville. Il y a pourtant autant de différences entre un propriétaire du sixième arrondissement et un locataire du vingtième qu’entre un pilote de Formule un Monégasque et un chômeur tourangeau. Là où un gamin de la montagne distinguera au premier coup d’œil une frontière entre les espèces végétales, je ne verrai qu’une masse indéterminée d’arbres tous semblables. À contrario, je vois ici des choses qu’un rural ne saurait percevoir. Les Inuits observent bien d’innombrables variétés de neige et de glace. J’opère naturellement les distinctions auxquelles mon environnement m’a sensibilisées.
Belleville était une cité ouvrière que le second empire a divisée de part et d’autre d’un axe central pour mieux l’affaiblir. Lorsque je remonte aujourd’hui la rue de Belleville, je ne vois pas un tissu uniforme de bâtiments et d’asphalte, mais les coutures de la ville, ses rafistolages et ses cicatrices, car les paysages urbains ne sont pas façonnés par la nature ou le travail des Hommes, mais par l’Histoire. Remonter la rue de Belleville jusqu’à la station Jourdain, c’est pour moi remonter le cours d’un fleuve qui sépare d’antiques royaumes, tantôt frères, tantôt ennemis.
Écrivains des villes, écrivains des champs, l’écriture est pour nous comme une parenté atténuant nos différences géographiques. Sommes nous donc si dissemblables pour que nous nous querellions comme des frères ennemis ?
Me voila rassuré.
Lorsque j'étais enfant, les gamins du hameau où je me rendais en vacance me jettaient des cailloux pour le simple fait d'être Parisien.
Encore aujourd'hui, j'ai la sensation de payer les pots cassés par d'autres.
L'ostracisme, malheureusement marche dans les deux sens.
Je comprends très bien ton agacement, mais il faut se garder de mettre tout le monde dans le même panier.
J'aime tout autant Giono que Morand !
Rédigé par : Mikaël | 19 septembre 2006 à 17:46
Mickaël, il n'y a pas de guerre, je reprenais les propos de Naulleau qui s'adressait au public en faisant la différence entre 6ème et 20ème pour brocarder l'autofiction : or c'était incompréhensible (comme tu l'expliques) pour des non parisiens. Ce que je dénonce, c'est l'attitude de certains parsisiens à croire que tout le monde l'est, c'est tout... Lu des tas de livres où il y a des phrases du genre "la rue bidule (une rue de Paris) n'était pas comme aujourd'hui" sans plus de précision, sous-entendu tout le monde sait comment elle est aujourd'hui, là où je ferai l'effort de décrire le paysage pour que les lecteurs ne voient pas "qu’une masse indéterminée d’arbres tous semblables". Je suis sûre que tu comprends ça très bien, la suffisance de nombreux parisiens m'agace. Ou bien : comment, vous n'habitez pas Paris ? Ou : vous habitez dans quel arrondissement ? Avoue que ça fait bizarre ! Du coup, l'amorce de querelle entre lady W et l'écrivain mystère, l'un "traitant" l'autre de 6ème me semblait révélatrice. Je me fais moi-même souvent de traiter de 6ème pour être très exigeante en matière littéraire et je trouve la métaphore un peu faible...
Rédigé par : Emmanuelle Pagano | 19 septembre 2006 à 07:26