On dit qu’à certains, la mort réserve sa plus-value. C’est une façon commode d’évacuer les aléas du quotidien pour se réfugier dans la perspective d’une postérité méritocratique. Le futur saura faire le tri. L’Histoire reconnaîtra enfin les siens. Le Lagarde et Michard ouvrira grand les portes de la reconnaissance posthume, mais ce serait compter sans les règles du marché. À la valeur strictement littéraire, vient alors s’ajouter la valeur marchande.
On trouve dans les métropoles de ces boutiques spécialisées en autographes, où la demande continue finalement de malmener la cote. On ose à peine passer le seuil de ces columbariums, pleins de souvenirs et de graphie défunte. On s’imagine sottement des prix astronomiques, des chiffres maintenant plus en rapport avec la grandeur désormais reconnue. Quelle ironie de découvrir que les noms survivants ne valent guère plus qu’une poignée d’Euros et que les livres font leur rareté, non sur leur dédicace, mais sur la qualité de leur papier. La hiérarchie s’étale également dans l’au-delà. Sauf exceptions, tout continue encore et encore. Les romanciers populaires précèdent les grands artistes qui, eux-mêmes, caracolent devant les philosophes. La poésie, comme il se doit, ferme toujours le peloton. Alors, n’hésitez plus, passez enfin la porte et faites-vous plaisir. Mêmes morts, les poètes ne valent pas cher !
Très juste, le papier, la reliure – leur qualité – le décorum en général, etc. importent énormément au bibliophile ; mais il faut aussi, au moins autant, que l’auteur ait du cachet, que le texte soit l’objet d’un enjeu, ou que le livre soit un véritable bijou, un objet artistique en soi, etc.… Et il est vrai que l’autographe n’est pas central : il constitue une sorte de valeur ajoutée, mais non des moindres, à l’objet.
En fait, j'étais côté de la plaque, j’ai oublié de réfléchir : je suis donc tout à fait d'accord avec vous, sauf que, vous allez peut-être rire ou me trouver ridicule d’établir de telles distinctions, je trouve cette situation plutôt normale, du fait qu’elle établit, à mon sens, une frontière plus ou moins nette entre le « simple » admirateur de l’un ou l’autre écrivain et le collectionneur bibliophile (c’est tout un art, ça demande beaucoup de travail, de persévérance, de culture, etc. d’être bibliophile), qui est, lui, à la source, qui est un facteur essentiel de l’attribution de la valeur littéraire et financière aux auteurs ; cependant, n’y voyez pas de tentative de dénivellement : l’un et l’autre, l’admirateur et le bibliophile, se valent, n’ont pas à rougir de leurs actes, que du contraire : si vous voulez cette frontière est, sans jugement de valeur, la même qui existe entre l’« amateur » et le « professionnel », entre l’Ecrivain et l’écrivain, en ce qui concerne l’investissement, les moyens mis en œuvre, les enjeux, etc.
Le degré d’exigence est plus fort chez le bibliophile, la quête du livre jamais assouvie, le plaisir intellectuel et quasi physique lié au contact de l’objet convoité intense, etc. Je n’ai pas lu Baronian (je viens seulement de le commander ; je ne suis qu’un novice en la matière donc), mais j’avancerais la chose suivante : le mécanisme de sanction bibliophilique est complexe, il est lié à de multiples facteurs qui dépassent largement le simple fait de trouver un autographe dans un livre dont le papier, la reliure, l’édition, n’ont pas fait l’objet d’un travail particulièrement soigné… si vous voulez, ce qui compte c’est la valeur ajoutée que d’autres (éditeurs, relieurs, graveurs, illustrateurs, etc.) ont donné à l’ouvrage qui augmente la valeur de l’objet et, par là même, de l’auteur : c’est une affaire de réception du texte, non pas de « don » venant de l’auteur lui même, à savoir, par exemple, l’autographe (qui, quand même, fait monter en flèche le prix du livre ; par exemple, il serait intéressant de comparer le prix du livre d’Eluard dont vous parlez au même ouvrage – même édition, même qualité de papier, même couverture, etc. – mais ne contenant pas d’autographe : il sera, à mon avis, au minimum, 50% moins cher)… C’est-à-dire que le livre dont le prix est important, grâce tout à la fois à la qualité de son papier, de sa couverture, etc., au nom de l’auteur et/ou à la valeur de son texte (et qui est par conséquent fort convoité par les bibliophiles), donne simultanément une idée précise la valeur (littéraire) de l’auteur (puisqu’il est, reste et restera un facteur essentiel du choix du bibliophile) et rend compte de l’importance de sa réception, du crédit qui lui est accordé par le monde des lettres… en d’autres termes encore, un auteur seul, isolé, ne « vaut » rien, du moins tant qu’il reste isolé : il a besoin d’être découvert, porté, mis en exergue pour exister (regardez Rimbaud, Lautréamont, exemples criant d’auteurs qui auraient plus difficilement émergés sans « aide », sans lecteurs suffisamment attentifs et avertis que pour les porter aux nues), et c’est ça que symbolise, je pense, le papier, la couverture, les gravures, etc. et qui en fait un attrait majeur auprès du bibliophile… donc pour conclure cette trop longue et confuse dissertation, je ne pense pas que se soit au détriment de la valeur de l’auteur que les bibliophiles accordent une telle importance au « contexte » de l’objet-livre mis en vente… ils tiennent métaphoriquement compte de ce facteur essentiel, crucial et incompressible dans le chemin du livre vers la « gloire » : le lecteur. Cela n’empêche pas, bien sûr, qu’il ait par dessus tout ça, et indépendamment, des facteurs contingents de variation de prix liés à la qualité de la reliure, à l’ancienneté de l’édition, etc., variation qui concerne plus, dans ce cas, l’objet que l’auteur… bref tout ça pour dire aussi que le seul autographe n’est pas nécessairement significatif, ni représentatif de la valeur littéraire d’une œuvre..
Rédigé par : Thomas | 07 décembre 2006 à 12:39
Oui, je vois ce que vous voulez dire, mais comme je le mentionnais, je crois que ce qui fait la valeur "objective" de cet ouvrage, c'est bien son format particulier in-8, sa reliure artisanale et son empiècement en cuir blanc, pas tellement la signature de l'auteur. Il m'arrive de fréquenter les salles de vente par curiosité et j'ai pu remarquer l'intéret des bibliophiles pour les qualité matérielles de l'objet livre, beaucoup plus que pour la dédicace de de l'artiste, même si c'est un plus
Rédigé par : mikael | 07 décembre 2006 à 10:22
http://www.laurentcoulet.com/ coulet_catalogue16.htm#163
Voilà l'url complète, suffit de recoller laurentcoulet.com/ à coulet_, etc.
;)
Rédigé par : Thomas | 07 décembre 2006 à 09:07
Vu comme ça c'est vrai que c'est inquiétant. Mais est-ce le presse-purée qui est surévalué ou Eluard qui n'est pas évalué à sa juste valeur ? Autre possibilité, votre libraire ne connais pas la valeur de cet ouvrage, et n'en demande donc pas le "juste" le prix : regardez plutôt ici, http//www.laurentcoulet.com/coulet_catalogue16.htm (n°163)
Rédigé par : Thomas | 07 décembre 2006 à 09:05
Pour avoir hérité d'un aïeul quelques raretés papetières, votre référence m'intéresse doublement. Évidemment, on peut voir dans la spéculation post-mortem le rééquilibrage de certaines injustices, mais 70 Euros pour une édition originale d'Éluard dédicacée (soit le même prix qu'un presse purée de milieux de gamme) ça me laisse tout de même dubitatif.
Rédigé par : mikael | 06 décembre 2006 à 18:28
Il y a un livre très intéressant de Jean-Baptiste Baronian, intitulé La bibliophile : une sanction qui nuance votre propos ; je copie-colle la présentation des éditions l'Âge d'Homme : "La bibliophilie, ce n'est pas seulement l'amour du beau livre, ni une passion qui peut devenir dévorante, c'est aussi une sorte de baromètre. Non pas pour mesurer le temps qu'il fait (encore que...), mais pour apprécier la place exacte qu'occupe un écrivain, célèbre ou méconnu, dans l'histoire des lettres.
Un livre incisif qui renverse pas mal d'idées reçues et propose, exemples à l'appui, une autre vision de la littérature."
Rédigé par : Thomas | 06 décembre 2006 à 14:20
Parfait comme idée pour les cadeaux de Noël. Je vais commencer à préparer ma liste.
Rédigé par : Fleur2litt | 05 décembre 2006 à 12:09