Peut-on souhaiter la mort d’un étranger, d’un être sans plus d’existence matérielle qu’une poignée de lettres jetée en couverture. Peut-on décemment rêver d’une fin rapide, d’un accident imminent pour un vieillard génial que l’on n’a jamais vu. Croyez-moi. Non seulement cette pulsion est terrible, obsédante, mais elle grandit à mesure que le temps passe. Elle devient un objectif sensé. On a beau retourner le problème dans tous les sens, y réfléchir la nuit. Aucune autre solution ne fait jour. Voilà un mobile auquel Agatha Christie n’a jamais songé. On peut vouloir le pire afin d’assouvir sa passion dévorante, de combler le gouffre laissé par l’admiration. Tuer pour la lecture.
La vérité est si troublante. Depuis une quinzaine d’années, j’attends la mort de Jerome David Salinger. Je l’attends avec impatience, avec gourmandise même. Il vient d’avoir 88 ans et chaque nouvelle année pourrait être la bonne. Je vois défiler ses anniversaires comme autant de promesses et je remercie le ciel de ne pas vivre dans le New Hampshire, sans quoi la tentation d’aider le destin ne me quitterait plus.
43 ans de silence radio, admettez que c’est une punition bien cruelle. 43 ans que l’on se demande pourquoi Seymour Glass s’est suicidé et où vont les canards de Central Park une fois l’hiver venu. Ces questions me taraudent. On sait maintenant que le silence fut unilatéral. Dans le coffre-fort de la maison familiale, dorment les manuscrits empilés dans des chemises de couleur. Bien évidemment, rien ne filtrera avant le grand saut et je sais que son éditeur, pour des raisons bien différentes des miennes, pique lui aussi des aiguilles dans une poupée de son. Un jour viendra la déferlante, ou plus vraisemblablement le compte-gouttes marketing, censé alimenter un marché avide pendant de longues années. La certitude d’une œuvre achevée, planifiée longtemps à l’avance. Ce jour-là, je me repentirai, c’est juré. Je lirai enfin, et comme un drogué satisfait par sa dose, je prendrai de bonnes résolutions.
Merci beaucoup !
Rédigé par : mikael | 19 mars 2007 à 12:08
Ta note est remarquable.
Rédigé par : francus | 19 mars 2007 à 11:08
J'ajoute que la traduction de Japrisot (qui par ailleurs ne parlait pas un mot d'anglais...eh oui, ça se faisait comme ça à l'époque) ne m'a jamais convaincu.
Rédigé par : mikael | 11 mars 2007 à 13:52
à relire d'urgence donc (pendant tes vacances ??)
Sa fille a publié un livre il y a quelques années "the dreamcatcher", dans lequel elle raconte son enfance auprès de lui. Elle dit avoir vu les textes, les dizaines de manuscrits qui s'entassaient déjà à l'époque. Je reste confiant. Bien sûr, si tout ça n'était que du vent, l'imposture et donc le mythe n'en serait que plus grand, plus impénétrable, une couche supplémentaire à la légende, mais quelle déception aussi.
Rédigé par : mikael | 11 mars 2007 à 13:49
bon, on ne va pas faillir à la tradition, au rituel: voici mon commentaire. Il va te décevoir. J'ai lu "L'attrape-coeurs" il y a très longtemps, je devais avoir 20 ans..et ça aurait dû me marquer. Et bien ma passion à l'époque c'était Sartre ( je t'assure que ça a changé depuis!)Voilà donc un livre à relire...
Une question bête: et si, dans les chemises de couleur, il n'y avait que des pages blanches?
Rédigé par : marie-pierre | 11 mars 2007 à 09:59