J’ai toujours pensé qu’il n’y avait pas d’à-côté de l’œuvre. Un livre qui nécessiterait des explications pour être appréhendé, sinon compris, relèverait alors du concept et serait pour moi une escroquerie. Il en est de même en peinture. Qu’on ait délibérément abandonné le sens de l’esthétique au profit du sociologique ou du politique, passe encore, mais lorsque l’intérêt unique réside dans le commentaire, on quitte définitivement le champ artistique.
On parle aujourd’hui bien peu des artistes et beaucoup des intellectuels…
Je me suis donc gardé, jusqu’à présent, de fournir des éclaircissements concernant OMICRoN, laissant le bouquin faire sa vie de bouquin et les lecteurs, leur boulot de lecteurs. Suite au Salon du livre, où certains d’entre vous sont venus me poser des questions, j’éprouve aujourd’hui, non pas le besoin de me justifier, mais de prolonger la discussion en fournissant des pistes de réflexion.
Il s’agit bien a fortiori d’un objet dynamique, d’un objet à facettes autour duquel le lecteur est invité à tourner pour le découvrir enfin dans son ensemble. Comme dans les anamorphoses, c’est le déplacement du spectateur, son changement continu de point de vue qui donne l’illusion du relief, qui déplie l’image écrasée. On découvre une succession de fausses pistes. Les voies sont multiples et ne mènent nulle part. Il faudra rebrousser chemin à plusieurs reprises, sortir du cul-de-sac et s’y reprendre à nouveau. À l’image de ce pauvre Thomas qu’on empêche toujours de parvenir à l’orgasme, le lecteur, convenablement désorienté, se verra lui aussi frustré par la manipulation. On n’est pas là pour se soulager, mais pour connaître un certain inconfort. Rien de pire, en effet, que les livres, même très bien écrits, où l’histoire se déroule sans à-coups vers une fin prévisible, où le littérateur ronronne et le lecteur somnole d’aise.
Deux romans symbiotiques cohabitent dans ce livre, l’un de facture traditionnelle, simple, sans prolepse ni flash-back. On y développe une narration à la troisième personne et au passé simple. Le Redmond Barry de Thackeray s’y voit dépouillé d’ambition sociale. On se concentre ici sur le rapport du monde à l’ego. L’autre, expérimental, presque oulipien dans sa façon de jouer avec la morphologie, l’orthographe et la typographie, se tend le long d’une trajectoire parabolique entre deux pôles électriques. Les deux font route commune, traçant des sillons parallèles. L’aphasie y fait office de guérilla moderne, le suicide de Debord, m’étant toujours apparu, non comme une aveu d’échec, mais bien au contraire comme une forme extrême de résistance, le point final d’une œuvre cohérente.
Il existe quelque chose d’irréductible à l’œuvre d’art, qui échappe à l’analyse et qui, n’en déplaise, échappera toujours à Barthes ou bien à Derrida. Il est inutile de vouloir décortiquer ce qui émane du texte, sans en provenir véritablement. Comme les matriochkas, chaque enveloppe ne débouche que sur une autre enveloppe semblable à la première, semblable à la première, semblable à la première…
Peut-être aurai-je l’occasion d’en reparler…ou bien en ais-je déjà trop dit ?
C'est surtout l'idée : est-il besoin de connaître le contexte historique des ambassadeurs pour comprendre l'anamorphose (que eux n'avaient pas vue !) ou bien peut-on se laisser prendre par le tableau, comme ça, sans explication, comme par le livre de Mickaël : moi je n'ai pas lu cet addendum ni écouté l'émission de radio car je n'ai pas encore lu le livre et je veux le lire sans explication, après je lirai/écouterai tout ça. Pour moi le choix est fait :les explications après la lecture...
Rédigé par : emmanuelle | 04 avril 2007 à 10:20
"les Ambassadeurs" de Hans Holbein le jeune est une des toiles anamorphiques les plus connues.
Si l'on se place sous un certain angle, à droite du tableau et très près du cadre, l'espèce de zigouigoui qui zèbre le portrait devient une tête de mort. (ça marche moyen sur un écran, mais quand même un peu).
La présence des deux personnages, assez similaires, mais pas tout à fait non plus, illustre également le thème du double dans le roman...
Rédigé par : mikael | 04 avril 2007 à 09:01
Assez d'accord aussi... Quel rapport établissez-vous entre ce texte et son illustration ?
Fab
Rédigé par : Fab | 04 avril 2007 à 08:18
Je partage votre opinion sur le fait qu'une oeuvre d'art ou un livre ne doivent pas nécessiter des explications pour exister(toucher). Je ne dirais pas que c'est une escroquerie, je dirais plutôt que c'est râté, incomplet.
Vous dites qu'il y aura toujours "quelque chose" qui échappe à un Derrida ou à un Barthes. Oui, bien sûr, heureusement. Mais ce "quelque chose" qui échappe aux lecteurs n'engendre pas la frustration mais plutôt l'admiration. C'est dans le noyau irréductible autant qu'inaccessible que se loge le talent (je crois).
Rédigé par : Claude | 03 avril 2007 à 18:21