On rêve d’un monde où les éditeurs seraient encore maîtres chez eux, où la relation avec l’auteur serait la clé de voûte d’un système destiné à produire des œuvres de valeur, où l’ambition esthétique ne saurait dépendre d’aléas économiques. La rentabilité de l’entreprise se contenterait alors de seuils relativement faibles. Les décideurs seraient conscients de la spécificité littéraire, libres d’agir sans le poids des contrôleurs de gestion. Longtemps, les éditeurs se sont couchés tard. C’était alors la marque de leur indépendance.
Force est de constater que les éditeurs, dans leur vaste majorité, sont aujourd’hui salariés de maisons, elle-même dépendantes de groupes financiers au montage précaire et aux objectifs mal définis. (Nous connaissons tous des contre-exemples et je tire mon chapeau à ceux qui ont su garder le cap).
J’en veux pour preuve les nouvelles mésaventures survenues au groupe Vilo, un PDG débarqué par son conseil d’administration, un magnat de la chaussure nommé à sa place, Antoine de Gaudémar (arrivé en fanfare il y a six mois et qui semble déjà sur le départ), des salariés démissionnaires (démissionnés ?) et pour finir, des maisons d’édition qui souhaitent changer de distributeur. Ce ne pourrait être qu’un énième rebondissement dans l’histoire d’une entreprise moult fois vendue, rachetée et ballottée au grés des vents boursiers, mais l’occasion est trop belle pour ne pas vous montrer à quel point les auteurs, pourtant chevilles ouvrières de cette économie, ne comptent pour rien. C’est un monde de chiffres, très éloigné en réalité des images d’Épinal consacrées à la littérature. On bâtissait autrefois des catalogues (certains savent encore le faire), on vend aujourd’hui à la découpe, le personnel, le fond et tutti quanti. Vilo ou Daewoo, après tout, quelle différence ? Quelle relation entretenir avec des gens interchangeables, des figures qui passent et comment s’inscrire dans la durée, alors que le bilan comptable tombe comme un couperet, sonnant ainsi le glas d’une politique éditoriale, d’un choix artistique et moral. On blâme souvent les auteurs infidels, mais qu'en est-il des éditeurs absents ? En guise d’échange pérenne, c’est plutôt aux chaises musicales qu’il faut assister, impuissant. Vous me direz que ces impératifs ont toujours existé et que j’embellis une époque disparue, mais la pression économique n’a jamais été aussi forte. La concentration du capital dans le domaine du livre, qui nous avait pourtant été annoncée par André Schiffrin, jette les éditeurs digne de ce nom à la rue (lesquels ne pouvant plus exercer librement leur métier deviennent souvent agents littéraires) et laisse les auteurs négligeables se débrouiller avec leurs problèmes textuels.
Schiffrin n'nnonçait pas la concentration du capital, il la décrivait ! ;)
(et malheureusement je suis assez d'accord avec la dernière remarque de Bon sens...)
Cela dit, tu abordes la question sous le bon angle - celle du propriétaire et de son ambition première : certains artisans veulent faire des livres (avec l'espoir, évidemment, de gagner de l'argent), les industriels qui veulent faire de l'argent - avec des livres pourquoi pas.
Dans toute industrie il existe de gros artisans.
Et chez les industriels on trouve toujours des collaborateurs pour refuser la logique et faire de l'artisanat... Ces derniers mon avis sont assez nombreux dans l'édition aujourd'hui. Ils doivent avoir un peu mal à la tête...
Faisons de beaux rêves, et qu'ils se réalisent !
Rédigé par : secondflore | 01 octobre 2007 à 08:59
Tiens, je prépare un billet sur le même sujet. Je suis d'accord avecv toi, il ne faut pas nier l'évidence mais il y a encore des éditeurs, appartenant à des groupes, qui demeurent maîtres chez eux (POL, Joeëlle Losfeld, par exemple). Mais je comprends ta révolte. Un auteur perd toute reconnaissance, est bazardé dans ce système des chaises tournantes.
Rédigé par : Anne-Sophie | 29 septembre 2007 à 21:44
Oui j'entends bien mais pour faire progresser les dividendes des actionnaires il faut faire du chiffre. La production élitiste ne fera jamais le chiffre attendu pour enrichir substanciellement des actionnaires. La production de masse oui. Le truc simple à lire, pas prise de tête, le truc consensuel. A ce niveau là, il n'est plus question de littérature j'en convient parfaitement mais de fastbook. Mac do avait compris cela depuis un bail... Cela n'empêche pas remarque aux Taillevent, Ducasse et autres de prospérer.
Rédigé par : Bon_sens_ne_saurait_mentir | 26 septembre 2007 à 11:40
@Bon_sens
Pas tout à fait d'accord, la lecture était un loisir de masse il y a cinquante ans. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et l'on vend beaucoup moins de livres. Pourtant, la situation se détériore. Le problème, c'est le capitalisme financier qui sépare richesse et production. La valeur d'un titre ne correspond plus à la valeur de l'entreprise, mais à l'idée qu'on s'en fait.
Facebook vient d'être estimée à 500 milliards de $ en terme de capitalisation boursière, alors que cette entreprise ne produit aucune richesse et ne génère pas de profit.
La quasi totalité des maisons d'édition française appartiennent aujourd'hui à deux groupes dont l'objectif n'est pas de produire des livres (bons ou mauvais), mais de faire progresser les dividendes reversés aux actionnaires. Partout, on casse l'outil de production, car il n'est plus le moteur du profit, jusqu'au prochain krach...
Rédigé par : Mikael | 25 septembre 2007 à 23:21
Tout se perd mon brave monsieur !
C'est idem dans l'industrie musicale.
Mais le vrai coupable c'est la masse. La masse c'est nous.
Nous engendrons des monstres. Il faudra bien en assumer la maternité...
Rédigé par : Bon_sens_ne_saurait_mentir | 25 septembre 2007 à 22:15