Le génie, s’il existe, est-il une adéquation à un moment, une sublimation de l’énergie intime qui s’inscrit dans un espace et une durée, ou bien au contraire un travail de reconstruction, une prouesse technique basée sur l’artifice ?
Glenn Gould est certainement l’un des plus grands pianistes du XXè siècle. Son interprétation des Variations Goldberg de Bach est devenue mythique, mais ce disque ne correspond à aucune interprétation connue. C’est un objet musical manufacturé à partir de bribes géniales mises bout à bout. En 1964, âgé de 32 ans, Gould quitte en effet la scène pour se consacrer exclusivement à l’enregistrement studio. Sa quête de perfection le pousse à abandonner les concerts en public. Il cherche à produire une œuvre qui ne peut exister, et que seul le mixage rend possible. Ses disques seront dès lors un habile montage de séquences brillantes et brèves, censées donner l’illusion d’un effort continu. On peut se laisser prendre à cet artifice et soutenir, comme Gould, que la perfection est à ce prix, que le génie est fulgurant et ne peut être dompté tout au long d’une œuvre aussi difficile. Je crois pour ma part que cette quête de perfection confine à la névrose morbide (la réclusion volontaire de Gould correspondant à cette recherche de pureté esthétique). À l’opposé du spectre musical, vous trouvez Sviatoslav Richter, un pianiste russe dont le souci d’ascèse tend à rendre chaque représentation unique. Son talent réside dans une communion avec le public, une unicité de l’être, de l’œuvre, de l’espace et du temps. Peu lui importe les défauts inhérents à la nature humaine. Ils contribuent en quelques sortes à l’enrichissement du morceau.
Cette différence se retrouve dans la comparaison entre théâtre et cinéma par exemple. C’est elle qui fait de moi un spectateur indulgent au théâtre et beaucoup plus critique au cinéma. Affranchi des impondérables de la scène, le cinéma est une somme d’artifices, tous contrôlables, qui devraient faire de chaque film un chef d’œuvre (comment ? Ce n’est pas toujours le cas ?)
Et la littérature dans tout ça, me direz-vous ? Eh bien, elle peut embrasser chacun de ces deux pôles à sa guise, jouer le cas échéant les extrêmes inverses et si possible...mélanger le tout…
Ah oui, mais un bouquin, c'est un type tout seul devant une feuille...
Il n'y a pas vraiment de subterfuge possible, c'est réussi, c'est raté...en fait c'est assez con ce que je suis entrain de dire, je m'en rends compte en l'écrivant (justement !) Les différences sont assez peu nombreuses entre cinéma et littérature.
Disons que le risque majeur du roman, c'est précisemment cette solitude absolue du début jusqu'à la fin et que le risque au cinéma est au contraire le trop grand nombre d'intervenants, d'échelons qui séparent l'idée de départ du résultat final.
Il y aussi le rapport à la sensualité. La peinture, la sculpture, le cinéma provoquent une adhésion (ou une répulsion) esthétique immédiate, alors que l'image de la page ne provoque rien chez le lecteur. (ce n'est pas la graphie des mots qui génére le sentiment, mais bien ce qu'ils représentent) Lire demande un travail de reconstruction mental, une participation cérébrale au lieu d'une participation sensuelle. C'est peut-être la spécificité de la littérature, mais aussi son handicap...
Rédigé par : Mikael | 21 septembre 2007 à 19:06
Nan, nan, Mikaël, vraiment rien de condescendant dans ton post, je te rassure. Je l'ai même trouvé très intéressant et j'apprécie même les critiques, du moment qu'elles sont constructives et que l'on peut éventuellement en débattre brièvement avec leurs auteurs.
Je note aussi la forme intermédiaire à laquelle tu fais allusion "entre la prestation live et le jeu de caméras". Je pense que tu seras vraiment surpris puisque le "concept" du film que je suis en train de terminer d'écrire s'en rapproche énOrmément. Ce qui me laisse donc penser que tu seras d'autant plus indulgent avec moi/nous après la projection...
"Affranchi des impondérables de la scène, le cinéma est une somme d’artifices, tous contrôlables, qui devraient faire de chaque film un chef d’œuvre." Euh... tu crois que cela peut s'appliquer à la littérature contemporaine cette théorie ? Ce qui devrait normalement faire de tous les livres édités des chefs d'oeuvres en puissance ! (comment ? Ce n’est pas toujours le cas ? Ah bon...)
Au plaisir ;-)
Rédigé par : Le scénariste | 21 septembre 2007 à 16:52
Haha, salut TB !
Content d'avoir de nouveau de tes nouvelles.
Je lis ton commentaire et me relis, puis je réalise que j'ai pu paraître un peu condescendant. J'en suis désolé, étant vraiement fan de cinéma, mais il est vrai que voir un mauvais film me désole bien plus q'assister à une mauvaise pièce, parce qu'une prise peut être refaite. Le réalisateur a toutes les clés en main (ce qui augmente sa responsabilité) Je comprends bien qu'il existe aussi des impondérables, le temps, l'argent, la météo, mais en derniers recours, il y aussi le montage.
Note qu'il existe une forme intermédiaire entre la prestation live et le jeu de caméras. je pense à ce "film" (remake d'un Sydney Lumet ?) diffusé à la télé américaine il y a quelques années, où les acteurs jouaient l'histoire en direct sous l'oeil du réal'.
Je croise les doigts pour ton propre film et espère en entendre parler très bientôt.
Bien à toi...
Rédigé par : Mikael | 21 septembre 2007 à 10:32
Cher Mikaël,
Mes périgrinations webiques me mènent cette nuit sur ton blog vraiment par hasard...
J'y découvre avec plaisir un premier sujet où tu évoques Glenn Gould et le non moins talentueux Sviatoslav Richter, puis tu conclus gentiment par une réflexion somme toute personnelle sur le théatre vs le cinéma ! Je me vois donc dans l'obligation de te laisser ce bref commentaire en guise de clin d'oeil...
"...le cinéma est une somme d’artifices, tous contrôlables, qui devraient faire de chaque film un chef d’œuvre." Bon, je te laisse bien évidemment l'entière liberté et responsabilité de tes propos mais je t'assure, en attendant de te voir à la première de mon premier film, que J'ESSAIE DE FAIRE DE MON MIEUX et que je m'y emploie plus que fortement depuis des mois, parfois jusqu'à épuisement. Reste donc à savoir ce que tu en penseras ;-)
Je devrais partir prochainement fabriquer ces images animées de l'autre coté de la manche, en espérant, comme tu me l'as aimablement écris, il y a déjà plus de quatre mois, chez Hortense, dans MON exemplaire d'OMICRoN, "que les enfants perdus de Peter Pan de deviennent jamais les hooligans de Manchester United !"
Au plaisir de te revoir un jour prochain, quelque part sur la terre ou du coté de notre chère agent Global-littéraire préférée...
Bien amicalement, TB.
Rédigé par : Le scénariste | 21 septembre 2007 à 02:47
Et bien Mikaël je vais être très basique, après m'être longuement interrogée je crois que le génie est chimique ! Il n'y a là aucun choix, juste une question de dosage, de circuits, des chemins de traverse quoi.
Rédigé par : Bon_sens_ne_saurait_mentir | 17 septembre 2007 à 22:00