Chaque matin, je traverse le Père Lachaise. Je le traverse de part en part, du Nord au Sud et de haut en bas. C’est un rituel immuable avec ses codes et ses souvenirs qui se superposent jour après jour comme les strates d’un affleurement géologique. Je perds l’équilibre et me tords les chevilles sur les pavés inégaux, non de l’Hôtel de Guermantes, mais bien de l’avenue des Feuillants. Mes pas dessinent naturellement une trajectoire presque rectiligne. C’est une flèche brisée que je trace sur le plan du cimetière, un signe kabbalistique qui me transforme en personnage de Paul Auster, ou bien plutôt d’Edgar Allan Poe, car c’est chez Poe, qu’Auster est venu puiser pour écrire sa Trilogie New-yorkaise.
C’est un moment de magie sans pareil, surtout en cette saison où la lumière dorée inonde tout.
Arrivé au sommet de la butte, je peux désormais répondre à cette question qui m’a taraudé depuis l’enfance. Comment Rastignac fit-il pour « voir Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine » à la fin du Père Goriot ? Eh bien, les immeubles alentours étaient moins nombreux, les arbres moins hauts et surtout sans feuillage, puisque la scène se passe au crépuscule et donc en hiver. On ne voit plus aujourd’hui la colonne Vendôme, ni le dôme des Invalides. Rien à faire !
Ce parcours quotidien s’accompagne d’un certain nombre de stations qui ponctuent mon cheminement. Bien entendu, ces stations sont des bornes littéraires. Aussi, la géographie se fait-elle bibliographie, au gré des accidents de terrain et des aléas de l’immobilier funéraire. Je ne choisis pas mes visiteurs réguliers. Encore une fois, je vais simplement au plus pressé et accueille ceux qui viennent à ma rencontre. Proust cède la place à Guillaume Appolinaire. Je passe ensuite devant Alfred de Musset, dont le Saule dépérit inexorablement et que les employés municipaux doivent changer à intervalle régulier (la terre acide ne lui convient guère). Je tourne à gauche juste après Colette et termine enfin mon périple par Jules Romain, avant de retourner à la ville. Cette succession a-t-elle un sens caché, dicté par le hasard et les nécessités de mon trajet ? Existe-t-il un lien secret entre ses éléments disparates ? Mon déplacement constitue malgré lui un ensemble de textes et de réflexions qui s’agrègent et forment un ordre dont j’ignore encore la nature. Si j’habitais ailleurs, si je travaillais ailleurs, cet ordre serait forcément différent et me signifierait tout autre chose. Le génie semble devenir terriblement accessible dans la mort, mais cette proximité n’est qu’un faux-semblant…
Tel Valery, vous voilà en train d'écrire sur les cimetières. Là aussi, vous avez d'illustres prédécesseurs.
Rédigé par : Feuilly | 13 novembre 2007 à 10:52
Idéal pour écrire, un cimetière. Personne pour vous déranger - à éviter quand même les cimetières riches en personnalités le we et les vacances (heu, vous pouvez m'indiquer la tombe de paul valéry, à force ça peut faire perdre le fil... à moins que... qqchose d'amusant à faire : écrire un ouvrage collectif regroupant des nouvelles écrites dans des cimetières différents. Mais bon, j'ai déjà trois chantiers en route ! mes parents avaient raison : j'ai les yeux plus gros que le ventre.
Rédigé par : juliette mézenc | 11 novembre 2007 à 18:11
@Olga
Avec plaisir !
Rédigé par : Mikael | 09 novembre 2007 à 12:36
La marche est l'élément central de l'écriture. Je suis complètement d'accord avec vous. Je rajouterai que le vélo, c'est pas mal non plus.
(pas encore reçu votre livre, mais dés que je l'ai lu.... je viens vous chercher pour qu'on prolonge la promenade)
Rédigé par : Olga | 09 novembre 2007 à 11:38
C'est fou tout ce qui peut naître en marchant. Je crois que la marche est l'élement central de l'écriture. Les gens d'ici ne regardent plus beaucoup la ville, mais je m'efforce de m'y promener comme le ferait un touriste, en prétant attention aux lieux et à l'Histoire. Cette proximité avec le passé littéraire, ce déplacement dans l'espace me situent de facto dans une forme de continuité, de famille, dont il faut assumer l'héritage et prolonger la destinée. C'est une pression, mais surtout une joie !
Rédigé par : Mikael | 09 novembre 2007 à 11:01
Chaque pas est une pensée. Etre écrivain & se faire la promenade tous les jours dans Paris doit être un drôle d'exercice. Mi-frustrant, mi-motivant? Une hygiène indispensable en tout cas...
Rédigé par : Lazare | 09 novembre 2007 à 10:24