Écrire, nouer le fil de l’encre, est un geste qui m’a longtemps posé problème. Je ne parle pas de l’élaboration du texte lui-même qui relève d’une autre forme de difficulté, mais bien du mouvement. Relever ce défi, c’était aller contre la fébrilité, contre la tachycardie, et la nausée parfois.
Bien sûr, la rédaction de la liste des courses ne s’accompagnait d’aucun malaise. C’est la fiction qui me rendait physiquement malade, ou plutôt, la simple idée de la Littérature, la transgression. À ce moment-là, j’étais écrasé par le poids de Babel, les langues mortes, le Pentateuque, la bibliothèque d’Alexandrie, la philosophie allemande. Je ne savais pas grand-chose, mais c’était déjà trop. J’aurais voulu ne rien savoir du tout. Ça n’était plus ma main qui traçait nerveusement sur le papier, mais une main coupée, momifiée, qui ne m’appartenait plus. Souvent, il fallait que je m’interrompe, que j’ouvre la fenêtre pour à nouveau respirer.
Sans le savoir, je faisais alors l’expérience de la dissociation fondamentale. Être capable de s’exprimer par écrit ne fait pas de soi un écrivain. Beaucoup de gens l’ignorent. Cette dissociation nécessaire à la praxis est spécifique à la double nature de l’écriture, moyen de communication quasi universel, et forme d’expression artistique. À contrario, celui qui joue de la musique est par essence musicien, cela va sans dire.
La symbolique du geste était constitué de strates millénaires auxquelles je ne pouvais décemment m’identifier. J’ai tâcher de résoudre ce problème en changeant de référent iconographique. Il fallait introduire un intermédiaire, quelque chose de lourd et protecteur qui me tiendrait éloigner de la fièvre, qui dompterait la main. Je pouvais m’imaginer dans un cône de lumière jaune, frappant méthodiquement les touches d’une vieille Remington, une bouteille de bourbon en arrière-plan. Aristote, Shakespeare et Rimbaud cherchaient à me détruire avec leurs parchemins et leurs encriers acides, mais avec Chandler, tout devenait à nouveau possible. Je me suis donc mis à la machine à écrire. Aujourd’hui, l’ordinateur a depuis longtemps remplacé les rubans encreurs et le Typex. La machine a évolué, certes, mais je m’en sers toujours comme d’une prothèse textuelle.
J'ai été poète un jour...
Un mois...
Quelques années même...
Il y a bien longtemps maintenant...
Rédigé par : Ramon | 23 janvier 2008 à 22:25
Morte de rire, Strangedays. En plus c'est assez pertinent il me semble : il y a trop d'écrivants publiés on ne sait pas comment.(ou plutôt si, on sait comment...)
Rédigé par : Baumette | 23 janvier 2008 à 09:38
Et moi, avant d'm'y mettre, j'me colle un ou deux suppos d'Nifluril... Et mes doigts galopent aux mieux sans même embrouiller mon bulbe rachida-névrotique.
Rédigé par : Justin Hurle | 16 décembre 2007 à 09:45
Il serait peut-être préférable, pour les temps à venir et au vu de la masse croissante d' "écrivants", d'écrire avec les pieds, un bon vieux Bic coincé entre les orteils. On écrirait moins – forcément – mais plus fort. Donc mieux.
Pour ma part, je teste l'écriture avec la bouche, avec pinceau chinois du IIIe siècle et encre de seiche sauvage. Les résultats sont saisissants.
Rédigé par : Strangedays | 14 décembre 2007 à 12:28