On entend parler des écrivains de manière plus ou moins régulière, au détour d’une publication, après un laps de temps souvent variable. La durée qui sépare la parution de deux livres n’est souvent qu’une seconde pour le lecteur insouciant qui reprend à cette occasion le fil d’une discussion interrompue, une éternité pour l’auteur qui a compté les jours et pleinement mesuré les sacrifices consentis à son unique obsession. Après deux, cinq ou bien dix ans, on achète le nouvel opus sans trop se soucier de ce que l’auteur a fait durant cette période de silence. On présume qu’il a rempli son office, avec plus ou moins de réussite. L’écrivain écrit, cela va de soi, mais il respire aussi, mange, pleure, se lamente et jouit. Il échoue également, entame des livres sans fin, accumule les ratés, chevauche une tonne de papier noirci. Ces années d’entre-deux sont des bras de mer aux courants mauvais dont on réchappe ponctuellement, ou pas. Qu’est-ce qu’un écrivain qui ne publie pas ? Un genre d’ectoplasme en transition, sans véritable présence, dépouillé de sa chair et qui attend dans la matrice qu’on veuille bien lui prêter un corps. La vie des livres étant aujourd’hui celle des éphémères, on assiste à l’avancée parallèle de deux types d’existence, l’une continue et ordinaire, l’autre désossée...en pointillés lumineux.
La Société des Gens de Lettres qui confère à ses adhérents un sésame cartonné, un label annuel, ne reprend pas leur carte aux écrivains qui pratiquent cette nage en eaux vives, mais distingue tout de même différentes catégories de plumitifs à développement lent. Il faut avoir publié trois fois pour quitter enfin le statut de « stagiaire », comme si les deux premières fois pouvaient encore relever de l’accident ou du hasard. Le Temps n’est pas quantifié. La durée, l’intervalle n’ont finalement pas la valeur que je leur accorde. C’est la quantité, atrocement banale, qui prime encore ici.
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