Dissimulée sous la jaquette, la couverture a déjà tout d’une pierre tombale. On ne sait qui devra être enterré sous celle-ci. Est-ce bien la mort de Nathan Zuckerman, alter ego de toujours, qui revient une dernière fois à la ville comme le Thoreau de Walden, ou bien le testament littéraire de Philip Roth ? Il est encore trop tôt pour le dire, même si ce baroud d’honneur a tout de la sublime révérence.
Confronté à la décrépitude physique et mentale que l’on a vue gagner de livre en livre, le protagoniste, animé par une ultime pulsion, nous conte avec humour et lucidité les débuts de la fin. Ce n’est plus seulement la vessie qui fuit, mais la mémoire qui se vide peu à peu, l’invasion du néant, comme si le dysfonctionnement élémentaire entraînait l’oubli dans un phénomène de cause à effet inattendu. Il semble venu le temps où l’auteur, comme ses illustres prédécesseurs, doit affronter la question de l’aptitude physique. Si Hemingway ou Gide se sont donnés la mort par incapacité à poursuivre leur tâche d’écrivain, si Primo Levi se suicide, non parce qu’il a vécu Auschwitz, mais bien parce qu’il tente d’écrire sur Auschwitz, Roth se demande à son tour quoi faire, lorsque l’on ne peut plus effectuer convenablement la seule chose que l’on estime. La disparition de Norman Mailer et la publication de ses derniers livres viennent alors éclairer les affres du grand âge où le talent et l’énergie autrefois évidentes se dissolvent tout simplement dans une sénilité indescriptible. Pourtant, le génie de Roth, mélange inouï d’intelligence et d’émotion, irradie de ce livre au style parfait qui comptera certainement parmi ses meilleurs. Louis Jouvet expliquait à ses élèves qu’il fallait être sobre pour interpréter un personnage ivre et c’est bien à l’illustration de cette maxime que l’on assiste à la lecture d’Exit ghost. Jamais les facultés de l’auteur n’ont paru mieux maîtrisées, à mesure que celle du héros s’amenuisent. Comme un pharaon, prêt pour le grand départ, la tentation d’emmener son monde avec soi et de condamner le futur se fait alors manifeste : « Reading/writing people, we are finished, we are ghosts, witnessing the end of the literary era-take this down »p186. Ou bien est-ce là un constat glacial sur la disparition progressive d’une génération d’écrivains, coïncidant avec la réélection de George W. Bush ? Enfin, comment parler d’un livre dont la lecture se suffit à elle-même, pourquoi évoquer un auteur qui demande le silence sur sa vie et sa personne, dénonçant ce qu’il appelle « l ‘inquisition biographique » : « I’d outlaw reading groups and Internet book chatter, and police the bookstores to be certain that no clerk ever spoke to a customer about a book (…) I’d leave the readers alone with the books, to make of them what they would on their own… » p184. Peut-être, et c’est Roth lui-même qui entrouvre cette porte, parce que la transgression est l’apanage de la jeunesse et la combativité son atout altérable. Profitons en encore un peu...tant qu'il est temps...
« The end is so immense, it is its own poetry. It requires little rhetoric. Just state it plainly. » P153
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