C’est au moment précis où je décidai de rédiger une note sur la paresse que mes plans se trouvèrent radicalement bouleversés. Il est des sujets impossibles à évoquer sans se dédire et produire un texte sur la langueur qui semble justement contrecarrer sa propre existence tient en réalité de l’oxymore. On n’écrit pas sur la paresse. On ne fait tout simplement rien.
À la lecture du troublant roman de Caroline Hoctan, intitulé Le Dernier degré de l’attachement, j’éprouvais déjà un sentiment obscur de fraternité littéraire. J’observais la similitude des thèmes se déployer en ramifications intimes et étrangères tout à la fois, comme si mon roman à venir s’inscrivait malgré lui dans une parentèle secrète, une forme de prédestination. Une phrase glanée au hasard :
« On n’échappe encore moins à ce que l'on est au fond de soi et qui a pris forme, à l'origine, dans le coeur de nos ancêtres »
semblait, à elle seule, résumer la totalité de mon entreprise autrement plus grasse et dilatée.
Mais, c’est à la lecture d’Existe en ciel, recueil de nouvelles de Christine Spadaccini, que le trouble s’est mué en une forme de stupeur. En effet, comment ne pas mettre en relation ce passage de la page 9-10 :
« Je me retourne, dans le tissu serré des maisons, de l’autre côté de la rue, juste au bout, une maille a filé, l’une d’elles a été détruite, il n’en reste plus que les murs du fond et quelques bribes des vies qu’ils ont un temps, sûrement longtemps abritées. C’est une jolie vision bleue, triste. Un bout de passé tout nu qui sèche au soleil, un pan de vie morte sous une couleur vive, l’histoire d’une personne, d’une famille, écrite là, à l’encre sympathique, sur des cloisons, que la chaleur des rayons révèle soudain. (…) Un sentiment bizzare, dérangeant, d’avoir piqué un secret qui ne m’appartenait pas, comme un malaise ».
avec cet extrait d’une de mes propres nouvelles, écrite il y a longtemps :
« Sur mon passage, quelques maisons rasées derrière des palissades. Sur le mur mitoyen, on distingue encore les différents papiers peints délimitant ainsi les pièces, le carrelage de la salle de bain, le conduit de la cheminée qui s’élance vers le ciel, la marque sombre des sols et plafonds. Ici, la salle à manger, là une chambre d’enfant, ou encore un placard, traces d’une vie révolue, souvenirs muraux d’existences éconduites. Livre ouvert écrit par d’autres que moi. Les pans obliques du toit ont, eux aussi, laissé leur marque sur la meulière noircie, dessinant désormais sur le mur une immense flèche grisâtre pointant les nuages, croquis d’enfant sur une ardoise d’école. Plus qu’un mémorial du quotidien disparu, les couleurs et les formes évoquent maintenant une gigantesque maison de poupée démontable, un écorché de la civilisation moderne dont il est difficile de se détourner. Les pièces, autrefois séparées par des cloisons, des murs et des portes, se trouvent aujourd’hui juxtaposées, mises bout à bout comme dans un patchwork vertical, damier criard où les fleurs succèdent aux rayures où les vies distinctes se retrouvent finalement télescopées dans une confusion toute géométrique. Équarrissage des saisons. Fragments choisis d’une réalité plus vaste et fatalement impénétrable, comme les éclats d’un miroir brisé où se reflète l’immensité du ciel . »
Existe en ciel…oui, sûrement. Moi qui n’ai jamais beaucoup cru à ces histoires de générations, de mouvements, créations après-coup de journalistes excessivement synthétiques, je dois bien reconnaître qu’il existe peut-être un « génie » de l’époque, une présence qui habite un endroit et une langue et nous relie malgré nous. Le talent, s'il existe, doit nécessairement être une forme d'intelligence collective.
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