C’est au regard de nouvelles lectures que son propre travail révèle finalement toute sa signification. Où l’intertextualité dépasse de loin le jeu conscient de références et d’emprunts qui sert généralement de fondations au texte. Qu’on le veuille ou non, la production s’inscrit dans une architecture, une histoire, offrant des perspectives et des lignes de fuite, avec un arrière-plan, et des à-côtés. Les questions soulevées par un livre trouvent généralement leur réponse dans d’autres livres souvent plus anciens, ou bien parfois restant à écrire. La Littérature est une sphère où le temps est aboli, où les idées sont autant de tunnels reliant des points distants de la surface convexe par une sorte de raccourci relativiste.
L’isolat est un rêve impossible.
« L’absolue nécessité d’échapper au regard, de se fondre dans l’ignominie silencieuse, faisait lentement place à un désir d’exhibition. La substitution progressive de valeurs, apparemment constitutives de sa personne, eut lieu avec d’autant plus de facilité que ses nouvelles croyances étaient symétriquement opposées aux premières. Changer d’un iota eut été bien plus ardu que changer du tout au tout. Scrutant la moindre de ses transformations avec une minutie d’entomologiste, il n’avait pourtant pas l’impression d’être différent, mais d’enfin se découvrir. »
OMICRoN, p98
« Les métamorphoses des personnages de Tolstoï apparaissent non pas comme une longue évolution, mais comme une illumination subite. Pierre Bézoukhov se transforme d’athée en croyant avec une étonnante facilité. Il suffit pour cela qu’il soit ébranlé par la rupture avec sa femme et qu’il rencontre à un relais de poste un voyageur franc-maçon qui lui parle. Cette facilité n’est pas due à une versatilité superficielle. Elle laisse plutôt deviner que le changement visible a été préparé par un processus caché, inconscient, qui soudain explose au grand jour. »
Milan Kundera. Les testaments trahis. 1993. Paris : Gallimard, p 249-250
« Tolstoï nous offre ainsi une autre conception de ce qu’est l’homme : un itinéraire; un chemin sinueux, un voyage dont les phases successives sont non seulement différentes, mais représentent souvent la négation totale des phases précédentes. » ibid, p247
« Le scanner ne donna aucun résultat significatif. Il sentait pourtant bien que le nouveau type de relation imposée par ses gonades le précipitait vers une issue fatale. « Non, vraiment, regardez vous-même », lui déclara Stanislas en lui indiquant une zone plus sombre de l’incompréhensible imagerie. Ses couilles en photos ressemblaient à un archipel volcanique, cônes éruptifs au cœur de petits lagons coralliens. Il se rapprocha du mur lumineux sur lequel étaient désormais accrochées les planches radio. Tout autour de la glande, il pouvait maintenant discerner de petits points clairs, légèrement fuselés, des pirogues sans doute. Il songea inévitablement au paradis tropical des stars éclipsées, aux madrépores, aux cocotiers. Quelle retraite quand même, que le récif de ses bourses !
- Là, là, rien, la prostate est parfaite, mais c’est normal pour quelqu’un de votre âge, reprit alors Stanislas, vous voyez la tunique là, dit-il en pointant une zone grisâtre que Thomas avait pris pour la jonction entre l’océan et la plage, c’est OK, parfait, bon, il y a bien peut-être, une légère inflammation du testicule gauche, à cet endroit là, juste au contact de l’épididyme, le sommet du cratère songea Thomas, mais c’est vraiment léger…
- Vous êtes sûr, demanda-t-il d’une voix implorante et involontairement pathétique, rien d’autre ?
- Ben non.
- Alors, cette inflammation ?
- Disons…un genre d’orchite…c’est une petite infection quoi. Je vais vous prescrire des antibiotiques…et cette baleine blanche au fait, comment va-t-elle ?
- Mal docteur…elle va très mal ! »
OMICRoN, p 151-152
« Il reste dans la littérature russe comme un phénomène médical : le cas Darmolatov est traité dans tous les manuels récents de pathologie. Même dans les livres étrangers spécialisés, on reproduit la photo de ses testicules (de la taille de la plus belle courge de kolkhoze) dès qu’il est question d’éléphantiasis (éléphantiasis nostras). Son cas reste une mise en garde pour les écrivains : pour écrire, il ne suffit pas d’avoir des couilles."
Danilo Kis. Un tombeau pour Boris Davidovitch. 1979. Paris : Gallimard, p 158
PS : c'était la 200ème note sur ce blog.
@Juliette Mezenc
My pleasure !!
Rédigé par : Mikael | 28 mars 2008 à 20:02
oui, passionnante cette réflexion sur l'intertextualité inconsciente, sur ce qui relie nos textes aux autres textes; des échanges qui restent rares dans la vie où on est tous si souvent à côté de notre parole, ce qui ne facilite pas la rencontre. Merci.
Rédigé par : juliette mézenc | 28 mars 2008 à 09:59
Je vois l'isolat plutôt comme un cauchemar qui mène rapidement à la consanguinité et ses tristes conséquences. Tandis que la sphère que tu évoques est de l'ordre du consensuel, de la convergence, de la vibration partagée, ce sont ces sensations que j'ai aimées retrouver à la lecture de ton livre, cette sorte de fraternité dont tu parlais, bien plus attirante que la solitude de l'atoll! ;)
Rédigé par : Kiki | 26 mars 2008 à 17:40
Merci Caroline,
j'aimerais pouvoir également réagir à tes propres billets (qui le méritent !), mais on ne peut toujours pas laisser de message sur ton site. C'est TRÈS frustrant !!
Bien à toi.
Rédigé par : Mikael | 26 mars 2008 à 15:29
Comme toujours, c'est passionnant ce que tu dis dans ce billet. Et tellement pertinent au regard même du grand work in progress...
Vais plancher à mon tour sur la lecture que j'ai faite de ton livre pour écrire qq chose bientôt en ligne...
Amitiés,
c. hoctan
Rédigé par : hoctan | 26 mars 2008 à 12:17