Comment imaginer aujourd’hui que Socrate se méfiât tant de l’écriture, cette nouveauté farfelue qui, en réduisant le discours à un monologue, empêchait toute dialectique. La mémoire, alors réceptacle universel de la pensée et de la connaissance, en devenait presque dispensable. C’est l’idée même de civilisation, telle que la concevait alors Socrate qui fut remise en cause, bouleversée de fond en comble et n’est-ce pas un changement inversement similaire qui se déroule à présent sous nos yeux, la grande revanche de l’oralité sur la chose écrite ? La réduction du temps de lecture, la perte du plaisir de lire pour la plupart d'entre nous, la baisse des ventes de livres ne sont pas les symptômes conjoncturels d'une crise passagère, mais bien les signes d'une transformation structurelle des modes de pensées, de la conception du monde.
Si les réseaux sociaux de l'ère numérique offrent peut-être une nouvelle forme de dialectique socratique, ils oblitèrent la solitude du lecteur qui permettait l'émergence d'une pensée critique. C'est la lecture qui a structuré la culture occidentale moderne, aussi les mutants numériques nous seront étrangers, d'un point de vue neurologique, meilleurs, qui sait, mais fondamentalement différents. Je ne crois pas à la disparition de l'objet-livre, mais bien de la civilisation du livre. La lecture va probablement continuer de refluer jusqu'au stade de l'an mil, avant l'alphabétisation de masse, où les isolats des monastères perpétuaient une tradition en voie d'extinction. Les élites sociales, plutôt que religieuses, maintiendront alors cette forme de réflexion, comme un loisir doré, terriblement exclusif, comme on apprend encore le latin, ou le grec ancien. Les écrivains deviendront ainsi des stars du cinéma muet, comme Gloria Swanson dans Sunset Boulevard...
oui
(en 2009 je reste court façon twitter)
Rédigé par : secondflore | 16 septembre 2009 à 16:51