Il est un moment de l'histoire où le spectacle de la vie a supplanté la vie elle même, bien avant L'ORTF, John Wayne et Guy Debord.
Au XXè siècle, la vie semble avoir perdu son attrait au profit de sa mise scène. La volonté de contrôle a fait de l'existence une création plastique dont la télé-réalité n'est finalement que l'un des avatars les plus commerciaux. La théâtralisation du réel permet de tenir l'imprévisible à distance.
En 1883, alors que les pionniers ont déjà peuplé l'intégralité du territoire américain et que la « frontière » est sur le point de disparaître, le Buffalo Bill Wild West Show commence à sillonner le continent et bientôt le monde pour raconter à ceux qui ne la vivront jamais une épopée largement réécrite. Alors que la conquête bascule dans la routine, les conteurs s'emparent d'une réalité moribonde pour en éclaircir le fond.
En 1889, le Moulin Rouge ouvre ses portes. Le symbole de ce qui est aujourd'hui Montmartre n'est en réalité qu'un décors factice où les bourgeois pourront se divertir et se faire peur sans prendre le moindre risque. L'ouverture du cabaret marque la fin du quartier populaire où débuta la Commune et la naissance d'une attraction touristique qui singe en réalité la misère et le crime. C'est le royaume du faux semblant. L'histoire du vice remplace le vice lui-même.
Enfin, en 1895, le première projection du cinématographe au Grand café du Boulevard des Capucines plonge le monde dans une ère nouvelle. Le cinéma, qu'on l'appelle « vérité » ou non, n'a jamais été une vaine tentative de représenter le réel, mais bien une reconstruction à part entière de celui-ci, l'invention d'un monde parallèle qui ressemblerait au nôtre sans l'être tout à fait.
Dès l'arrivée du train en gare de la Ciotat, la nécessité du cadrage, du placement de caméra ont transformé l'opérateur Lumière en fabricant de vie, tel le Dr Frankenstein de Mary Shelley et l'on oublie trop souvent que le septième art a longtemps été considéré comme le premier moyen scientifique de vaincre la mort.
On le voit, l'expérience totalisante du spectacle qui rompt à la fin du XIXè siècle avec la tradition purement littéraire est un art d'embaumement. Il s'agit de figer le passé aussi bien que les individus dans une attitude idéale qui permet d'échapper aux aléas de la vie. Il faut devenir un objet pour être enfin immortel.
@Secondflore
Ah, ce cher Henry...comment va-t-il, depuis le temps ?
Rédigé par : mikael | 09 octobre 2008 à 13:46
« Mais à quoi servent les livres s’ils ne ramènent pas à la vie, s’ils ne parviennent pas à nous y faire boire avec plus d’avidité ? » me disait récemment H. Miller...
(idem pour le cinéma, bien sûr. et parfois, eh bien, ça marche)
Rédigé par : secondflore | 09 octobre 2008 à 10:20
@Thibault Malfoy,
Cette note n'est pas du tout un réquisitoire contre le cinéma, que j'adore par ailleurs, mais son apparition coïncide avec cette volonté de vivre à côté de la vie, plutôt que dans la vie.
La littérature, si elle est également re-création (je ne reviens pas sur la mimesis) s'inscrit dans une temporalité totalement différente, où le lecteur participe de l'oeuvre et n'est pas simple spectateur.
Rédigé par : mikael | 30 septembre 2008 à 20:48
Reconstruction du réel ? Mais oui, comme la littérature... Toute forme d'art puise dans le réel pour le sublimer et de cet autre faire du beau. Enfin, la plupart du temps... Pour ma part, je ne vois pas le cinéma comme faisant intégralement partie de cette société du spectacle, "art d'embaumement" qui substitue à la réalité un simulacre plus confortable.
Rédigé par : Thibault Malfoy | 30 septembre 2008 à 19:39
"Autrement dit, si l'on ne craint pas de recourir à une formule démodée, mais parfaitement judicieuse" : C'était une belle journée de septembre 2008.
Rédigé par : mikael | 29 septembre 2008 à 23:48
bah, il faisait beau ce WE ! Quel post, on croirait qu'il a plu pendant deux jours ! ceci mis à part, évidemment, c'est encore passionnant et historiquement, on comprend bcp de choses à partir de ce post.
j'admire tes connaissances sur le sujet américain...
suis même jalouse !
caroline
Rédigé par : hoctan | 29 septembre 2008 à 23:09