En 1972, Marthe Robert publia un essai intitulé Roman des origines, origines du roman, consacré à un décryptage psychanalytique de la littérature sous l’angle de la filiation. Pour elle, deux personnages principaux peuplent l’univers romanesque et définissent ce genre hybride sans cadre formel bien défini, d’une part Don Quichotte l’enfant trouvé et de l’autre, Robinson Crusoé incarnant l’enfant bâtard.
On pourrait ranger cet essai dans le grand fourre-tout analytique de ces années-là, aux côtés du structuralisme, déconstructionnisme, féminisme (gender studies) et autres théories en « isme » qui fleurirent dans les facs de Lettres françaises avant de devenir les éléments constitutifs du corpus intellectuel américain. Pourtant, si une chose m’a toujours parut pertinente, c’est bien le lien entre la vocation littéraire et ce moment charnière ou l’enfant réinvente sa propre filiation. On s’est tous un jour ou l’autre imaginé être l’enfant d’un roi. Ce père-là, cette mère-là ne pouvaient être nos véritables géniteurs. Il devait y avoir eut un problème à un moment donné. C’est ainsi que l’invention du roman familial, du fait de l’antériorité impossible à percevoir, préfigure en quelque sorte la rédaction du roman tout court. Pourquoi, certains d’entre nous finissent par empoigner la plume pour poursuivre ce travail d’invention, d’agencement, d’amélioration de la réalité et d’autres pas, je ne saurais le dire.
Lorsque j’étais enfant, je me souviens très bien avoir raconté pendant plusieurs années que mon père était flûtiste de concert, alors qu’il était employé de bureau. Je tenais à cette version jusqu’à m’en persuader moi-même. Bien évidemment, « jouer de la flûte » signifiant aussi « raconter des histoires », les adeptes de Jacques Lacan seront comblés par mes mensonges…
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