Un film réalisé par la photographe et vidéaste Isabelle Rozenbaum, pour le compte de D-Fiction. à voir ici.
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Ce blog ne se veut pas autre chose, un ensemble de réflexions à l'ombre des feuilles, et pourrait ainsi se faire appeler « la Voie de l'écrivain ».
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Je crois pouvoir dire qu'en France, on valorise plus volontiers l'aphorisme, le fragment, l'exposé lacunaire, des Pensées de Pascal aux livres plus récents de Quignard. Le « bon » livre est un petit puzzle, un assemblage concentré et parataxique.
Les auteurs, quels qu'ils soient, cherchent avant tout à être des auteurs, c'est à dire à ressembler le plus possible à l'idée communément admise et leurs livres, sauf exceptions, seront des tentatives de rapprochement, des tirs de flèches vers le cœur d'une cible qu'ils n'ont ni choisie, ni même dessinée. L'image mentale produite par la culture et la psyché collective définit malgré nous les caractéristiques plastiques du but que l'on se fixe. Les génies, seuls, échappent à cette prédéfinition, d'où l'incompréhension et l'indifférence qui accompagnent généralement leurs œuvres.
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Cette figure, celle de Bandini écrivant Le Petit chien qui riait, dans sa chambrette de Bunker Hill m'a accompagné durant de nombreuses années, jusqu'à trouver un écho certain dans le personnage de Thomas Steren, vivant sous un nom d'emprunt dans une pièce unique, reflet immobilier de sa propre conscience. Le réduit est ici l'origine de la trajectoire. Du studio, comme métonymie balzacienne de la psyché contemporaine.
Il se trouve que Louis Calet, l'écrivain oublié, était en réalité un fugitif du nom de Raymond Barthelmess, qui après avoir dérobé une importante somme d'argent à son employeur s'était enfui en Amérique du sud où il avait claqué la totalité de son butin. Après de rocambolesques revirements, il se retrouva dans un appartement minuscule de la rue Edgar Allan Poe, à Paris, où il écrivit d'une traite ses trois meilleurs romans.
Évidemment, c'est aussi rue Edgar Poe que séjourne Thomas Steren dans OMICRoN et tout ceci serait d'une banalité affligeante si je m'étais inspiré de la vie de Calet pour écrire ce roman. Or, j'ignorais tout de cette anecdote jusqu'à aujourd'hui et il s'agit par conséquent d'une de ces coïncidences, si tant est qu'il existe une telle chose en ce monde de signes. Ces deux personnages, ces deux écrivains à l'identité masquée, l'un bien réel et l'autre fictif, l'un sur le départ, l'autre à son point d'arrivé, ont eu et auront donc toujours le même domicile.
Rédigé à 23:36 | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
Si les adjectifs ou les propositions adoptent chez moi un séquençage ternaire, ça n'est pas tant pour évoquer le rythme du jazz, privilégié sur la cadence alternative du rock, qu'en relation avec les trois notes de l'accord parfait.
L'adjectif du milieu est bien celui qui donne au texte sa tonalité.
"Ils suivirent ce fil d’Ariane, comme des funambules sur un câble tendu en plein ciel. Les abords des toits étaient condamnés, sournois, fourbis de chausse-trapes médiévales, d’engins bondissants et rouillés."
OMICRoN, p222
Rédigé à 22:32 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Rédigé à 21:49 dans Paraphernalia | Lien permanent | Commentaires (1) | TrackBack (0)
There will be blood, autrement dit « ça va saigner », comme un résumé affirmatif de l'épopée humaine. Ce titre de Paul Thomas Anderson pourrait également résumer l'œuvre tout entière de Stanley Kubrick.
Si l'exercice de la violence est à l'origine de l'intelligence, les films emblématiques de ces deux cinéastes nous invitent à réfléchir aux forces qui animent les individus aussi bien que les civilisations.
Si le voyage de Kubrick entreprenait d'englober toute l'histoire et toute la géographie, des hommes singes aux astronautes et de la vallée de L'Omo jusqu'à Jupiter, la fresque d'Anderson se concentre elle sur un moment et un espace déterminés, l'instant charnière où les États-Unis ont basculé dans la folie de l'or noir.
Si la notion même de progrès est nié par Kubrick, le super-ordinateur devant également tuer pour accéder à la pensée autonome, comme avait dû le faire avant lui le premier hominidé, elle l'est également chez Anderson qui stigmatise l'avènement du pétrole-roi comme symbole d'une lutte sans merci pour le pouvoir absolu.
La révolution technique s'avère être une révolution morale. Le basculement dans la prétendue modernité produit une société dans laquelle la pulsion de mort devient institutionnelle. La divinité n'est plus un recours contre la barbarie, mais un enjeu de pouvoir et une force de manipulation des masses. Avec le moteur à explosion, et son appétit jamais rassasié, la rapacité se voit légitimée à l'échelle des nations, la loi du Temple servant de paravent à la loi du marché.
À l'époque où se termine le film, dans les années vingt, Éric von Stroheïm tournait alors son chef d'oeuvre intitulé Greed l'histoire d'un dentiste de San Francisco dévoré lui aussi par l'ambition et l'avarice. Le scénario était tiré du roman McTeague de Franck Norris, tandis que celui de There will be blood provient du roman Oil d'Upton Sinclair. Deux grands romans, fruits de deux grands écrivains naturalistes qui portaient au même moment le même regard lucide et désabusé. Constat d'échec !
Si la vieille Europe fut gouvernée pendant mille ans par le glaive et le goupillon, Anderson nous montre comment l'Amérique contemporaine est animée par les églises évangéliques et les pétroliers texans. De l'avènement de la Standard Oil Company, dirigée par John D. Rockefeller, à l'élection de George W. Bush, c'est donc à la naissance d'une superpuissance cannibale que nous assistons au travers du destin paranoïaque de Daniel Plainview, incarné par Daniel Day Lewis. La confession publique suivie du baptême absout en quelque sorte l'érection du derrick, la progression du pipeline.
L'Amérique, qui s'est rêvée en continent vierge du pêché originel durant trois siècles, révèle enfin sa filiation. Les pères pèlerins avaient emmenés avec eux le serpent primitif qu'ils associaient au catholicisme romain. Le ver était dans le fruit du Mayflower depuis le début de la colonisation, mais l'expansion territoriale aidant, on mit un point d'honneur à l'ignorer jusqu'à ce que les limites du pays-continent soient finalement atteintes. Pas étonnant dès lors que le film d'Anderson débute en Californie, en 1896, trois ans seulement après la parution de The significance of the frontier in American history par Frederick Jackson Turner. La spécificité géographique, celle d'une expansion continue, est ainsi réduite à néant. La conquête de l'ouest ne justifie plus les exactions, le génocide et le chaos. La pulsion morbide continue pourtant à s'exprimer, au travers du monopole capitaliste et de l'épuisement des ressources naturelles. C'est bien en cela que There will be blood nous apparaît comme une œuvre moderne et actuelle, tout en se déroulant exclusivement dans le passé. Il s'agit bien du portrait psychologique d'une Nation qui bascule dans l'âge adulte. C'est là que plongent les racines du 11 septembre et de la guerre en Irak.
Si L'Américain n'est finalement pas l'homme nouveau, exempt de passé, débarrassé des luttes intestines du continent honni, c'est tout simplement parce qu'il est un homme tout court, au même titre que l'australopithèque, le légionnaire romain et le pape. Comme on emporte son passé avec soi où que l'on fuie, les descendants des premiers colons se voient rattrapés au tournant du XXè siècle par leur véritable nature, enfin dépouillée des oripeaux de la nécessité. La survie dans le monde sauvage est terminée. Tandis que les oilmen forent leurs puits, le Buffalo Bill wild west show propage déjà la légende d'un passé immédiatement mythifié. On entre enfin dans l'histoire. Le comptoir colonial, assiégé par la forêt primaire, les bêtes sauvages et les indiens a tant grossi qu'il absorbe désormais la totalité de l'espace disponible, les animaux survivants étant cantonnés dans des parcs nationaux et les indiens dans des réserves. La topographie, aussi bien que la morale, s'est retournée comme un gant.
Si le monologue de Plainview, cherchant la richesse comme un talisman afin de s'isoler du monde, peut être vu comme le discours isolationniste de l'Amérique au lendemain de la première guerre mondiale, c'est également l'expression d'une psychose individuelle, similaire à celle d'Howard Hugues, vu par Martin Scorsese dans son film Aviator.
Kubrick et Scorcese étaient jusqu'à présent les grands historiographes de la violence américaine, auxquels il faudra dès lors ajouter Paul Thomas Anderson. Kubrick parlait de l'Amérique en observant le monde, tandis que les deux autres convoquent toute l'humanité par le prisme de l'histoire américaine. A chacun son bout de la lorgnette spatio-temporelle. Dans Gangs of New York, le même Daniel Day Lewis, « American native » d'une part et boucher de son état, incarnait déjà cette Amérique triomphante et psychotique lorsque, drapé littéralement dans la bannière étoilée, il exprimait sa haine et son dégoût des autres.
La nation écartelée entre l'image fondatrice qu'elle a d'elle même et la réalité du chacun pour soi apparaît également dans le thème de la bâtardise, de la descendance illégitime qui semble revenir sans cesse dans la courte, mais déjà exceptionnelle, filmographie d'Anderson. On pourrait dire en résumé que l'Amérique ne reconnaît plus ses petits. Si cet aspect est ici envisagé du point de vue du père, Plainview en venant à renier son fils adoptif qu'il perçoit comme un compétiteur, un concurrent, il était au contraire envisagé du point de vue du fils dans Magnolia. Tom Cruise campait alors un enfant abandonné qui se construit une carapace de cynisme et de manipulation pour survivre à l'abandon du père. Le pouvoir et la richesse, encore, comme les fils d'un cocon isolant et protecteur, seul rempart possible contre le monde, qu'on soit père ou bien fils.
Enfin, There will be blood se termine sur cette locution sans appel : « I'm finished ! » qui claque comme un coup de fouet dans le microcosme narratif et le macrocosme historique, sans qu'on sache jamais vraiment si Plainview en a simplement terminé avec ce qu'il devait faire, ou bien s'il est arrivé au bout du rouleau.
Le grand angle qui déforme les perspectives de l'espace clos, la profondeur de champ qui isole le protagoniste dans un décors anodin et pourtant angoissant nous rappellent constamment l'œil magistrale de Kubrick, entomologiste du réel, bien que le film d'Anderson soit dédié à la mémoire de Robert Altman. De nombreuses analogies techniques pourraient également émailler cette ébauche de parallélisme, la musique de Johnny Greenwood rappelant sans conteste le requiem de Ligeti, utilisé par Kubrick dans 2001, mais la liste exhaustive des emprunts et références sera paresseusement laissée à la sagacité du spectateur. Des deux côtés, l'histoire des personnages et de la civilisation se termine nécessairement comme elle a commencé...c'est à dire à coups de gourdin.
(Texte précédemment publié sur D-Fiction)
Rédigé à 23:07 dans Paraphernalia | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
L'éclipse serait-elle un objet littéraire par excellence, non pas une métaphore un peu simpliste de l'absence et de la disparition, mais tout simplement un événement impossible à décrire dans sa totalité et donc cruciale pour l'écrivain ?
L'expression « éclipse totale de soleil » et son rythme ternaire sonne d'ailleurs comme une formule proverbiale et magique, évoquant même le « full frontal nudity » de la censure américaine et du code Hays hollywoodien. L'une dissimule et l'autre révèle de façon symétrique, mais les deux sont évidemment de même nature.
Le terme d'observation semble inapproprié, tant l'observateur participe alors d'une réalité exclusive, un peu comme si l'éclipse, dans sa rareté, ne se produisait pas sans qu'un public soit disposé à la contempler, à la vivre. On a du mal à imaginer ce qui arrive pourtant sans cesse, le plus grand spectacle de la création se déroulant en pleine mer et dans les vastes déserts inhospitaliers, sans un seul être humain pour en témoigner.
Le phénomène de l'éclipse engendre une communauté ponctuelle et chronique qui se noue et se défait au gré du rythme astronomique.
Des gens qui s'ignorent et vivent séparés les uns des autres par la distance et les préoccupations individuelles se retrouvent régulièrement et se donnent rendez-vous. La notion même de rendez-vous prends alors tout son sens. On se quitte pour se retrouver ailleurs dans dix-huit mois, dans deux ans. La destination est alors imposée par la nature. On ne choisit jamais où l'on va. La conversation interrompue par les mois d'attente reprend là où elle s'était arrêtée. Le dialogue s'émiette, joue avec les pointillés. Peu importe. On pourrait imaginer une histoire d'amour qui ne durerait que l'espace d'un instant, à l'intérieur du cône d'ombre, au fil des lunaisons, comme dans Brigadoon de Vincente Minnelli, où Cyd Charisse et Gene Kelly s'aiment dans un village qui n'existe qu'un jour par siècle.
Peu de novices dans cette autre « Communauté de l'anneau » où l'on se présente en cumulant ses précieuses minutes de totalité. Les plus âgés où les plus radicaux affichent parfois la demi-heure, ce qui ne lasse pas d'impressionner, sachant que la durée maximum théorique de l'obscurcissement ne peut dépasser sept minutes et cinquante huit secondes.
On mesure ce type d'addiction à l'aide des horloges, de manière hexadécimale, comme ces parachutistes qui comptabilisent leur durée globale de chute libre. L'éclipse est également une chute.
L'intensité de l'émotion, le déferlement chimique dont le corps est alors le théâtre, rend le reste de la vie si fade, que l'éclipse devient la vie à elle seule et l'existence ordinaire un entre-deux intolérable qu'il faut supporter dans l'unique espoir de retrouver la sensation perdue. Être véritablement vivant trente minutes dans sa vie est un objectif qui n'est pas si absurde et mérite sans doute quelques sacrifices.
-La superficie du globe terrestre couverte par le passage de l'ombre équivaut à un pour mille.
-Dix éclipses totales se produisent sur une période de dix-huit ans.
-Sept dixièmes de la surface de la terre sont occupés par des océans.
-La mécanique céleste est si précise que l'on peut prédire l'avènement d'une éclipse à la seconde près avec dix-mille ans d'avance, mais personne ne sait le temps qu'il fera et si le phénomène sera par conséquent observable. (Il faudrait certainement un nouveau Musil pour décrire avec précision les occurrences météorologiques des temps futurs.)
La probabilité de pouvoir vivre cette expérience durant une vie d'homme sans se déplacer est donc proche de zéro, « non nulle » diraient plutôt les mathématiciens.
Pourtant, de tous les mondes connus à ce jour, la Terre, l'unique endroit peuplé d'êtres vivants, est également l'unique endroit où des éclipses totales de soleil se produisent. Par une extraordinaire coïncidence, singulière dans tout le système solaire, le rapport entre la taille et la distance des astres rend le diamètre apparent de la Lune identique à celui du soleil.
La lune s'éloigne de la Terre à raison de quatre centimètres par an. C'est ce que l'on appelle l'effet de marée. Il y a trois millions d'années, alors que l'espèce humaine balbutiait encore, la Lune était plus proche de cent-vingt kilomètres et son diamètre apparent, plus grand, masquait ainsi le disque solaire, mais aussi sa couronne. La nuit survenait donc en plein jour, mais il n'y avait rien à regarder. Dans trois millions d'années, le diamètre apparent de la Lune sera plus petit et les éclipses totales auront disparu. Il est donc notable de remarquer que l'existence du phénomène, relativement brève à l'échelle des temps géologiques, coïncide également avec l'émergence d'une espèce capable de le contempler et d'en jouir.
L'ombre projetée de la lune n'est qu'un cercle minuscule d'obscurité défilant à la surface de la Terre deux fois plus vite que le son.
Par temps brumeux, on peut apercevoir cette colonne d'ombre, foncer sur soi à toute vitesse comme des nuées terrifiantes. Le jour, quant à lui, perdure à l'horizon. C'est un anti-crépuscule qui se déroule au zénith.
Un pour cent seulement de la surface du soleil suffit à éclairer la Terre comme en plein jour. C'est l'occultation de ce pour-cent restant qui fait basculer tout entier la partialité dans la transcendance totale. Le terme de totalité devient enfin signifiant. Comme il est difficile d'expliquer aux spectateurs que tout l'intérêt du film réside uniquement dans son générique de fin, alors que la majeur partie du public a déjà quitté la salle !
Juste avant la nuit, ce sont les couleurs qui disparaissent, ne laissant plus filtrer qu'un halo verdâtre et maladif recouvrant tout. La luminosité s'effondre littéralement. La nuit de l'éclipse n'a rien à voir avec la nuit quotidienne qui tombe avec lenteur et régularité. C'est une suite d'à-coups menaçants qui balaient l'horizon en charriant le froid glacial et le vent.
La réfraction des derniers pinceaux de lumière solaire dans les différentes couches de l'atmosphère engendre alors une oscillation de bandes sombres qui serpentent sur le sol. Ce sont les ombres volantes qui déferlent sur le paysage comme autant de reptiles noirs et vibrants.
On a beau savoir et comprendre, cela ne change rien à la trouille atavique, à la caverne, Lascaux et Platon, que l'on porte avec soi, sur son dos, comme la carapace du reptile que l'on a jamais cessé d'être tout à fait.
On dit que l'alignement parfait de la Lune et du soleil produit à l'intérieur du cône une force d'attraction cumulée légèrement supérieur à la moyenne et que la gravité terrestre en serait localement affectée. Cette force est difficilement mesurable, mais les organes humains baignant dans du liquide, de nombreux témoins rapportent avoir senti une sensation de flottement inhabituel.
D'aucuns soutiennent avoir entendu de la musique. Serait-ce enfin la « Musique des sphères », décrite par John Milton dans son poème Paradise Lost ?
Les disques basculent, s'enclenchent et se superposent comme des rouages de précision. La machine-monde connait alors son heure de gloire (En Anglais, l'adjectif glorious qualifie une certaine nature de lumière). Le bord du disque lunaire, dépourvu d'atmosphère, est une dentelure de pics culminant parfois à huit-mille mètres. Les derniers rayons du soleil s'engouffrent alors dans les vallées du satellite, formant ce que les astronomes appellent les « grains de Bailly », des gouttes de lumière dorée se détachant sur le fond devenu sombre comme un chapelet de cristal, jusqu'au dernier flash fulgurant d'intensité et de brièveté, la « perle de diamant ».
La chromosphère apparaît. C'est une lèvre de sang qui ourle le cercle noir et sur laquelle se détachent les protubérances, des langues de feu pouvant s'étendre sur des millions de kilomètres à travers l'espace.
Mercure, que l'on ne peut jamais observer de par sa trop grande proximité avec le soleil, brille au plus près de l'astre comme une étoile vassale.
Est-ce une orbite vide, profonde, qui troue le ciel et vous absorbe intensément ? L'expérience collective se mue alors en extase individuelle. Si le Monde a une main, il vous tient dans sa paume et vous malaxe les entrailles, déjà en apesanteur, comme une pâte meuble.
En toile de fond, les faisceaux blanchâtres de la couronne se dessinent, pétales irréguliers d'une anémone magnétique.
Seul l'œil humain est capable de saisir et d'embrasser en un seul regard la complexité visuelle de tous ces plans subtils. La photographie, le film sont incapables de tout montrer. La technique doit opérer des choix. La rétine perçoit la complexité, la profondeur de champ. Le cerveau, lui, restitue la totalité.
L'œil scrute alors son double négatif, sa matrice noire. C'est un duel digne d'un western.
Il n'y a plus de temps. Il n'y a plus d'espace. Il n'y a plus de Moi. On n'entend plus que les battements sourds de son cœur qui vous gonfle les tempes. Trois milliards d'années d'évolution déferlent en une seule seconde. On est l'amibe et le saurien, le singe qui allaite et s'épouille et puis aussi le sur-être nietzschéen dans sa gangue spatiale qui conclut l'Odyssée de Stanley Kubrick. On est tout à la fois. Rien du tout ! Rien de rien.
Ensuite, on est jeté dehors, chassé à nouveau du Paradis, comme l'Adam de Milton condamné à errer dans un univers où le sens, entraperçu puis aussi vite oublié, s'est enfui, encore et jusqu'à la prochaine fois...Les amoureux se séparent. Brigadoon retourne à l'oubli centennal, et l'écrivain à sa tâche impossible. Précieuses minutes d'éternité qu'il est vain de vouloir décrire, tant le langage, celui des Écritures, semble paradoxalement dérisoire et inapte.
On s'emploiera tout de même à échouer, par goût et par défi, puisque c'est la vocation de toute littérature et le destin, aussi, des gens qui s'y consacrent.
(texte précédemment publié sur D-Fiction)
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Comment imaginer aujourd’hui que Socrate se méfiât tant de l’écriture, cette nouveauté farfelue qui, en réduisant le discours à un monologue, empêchait toute dialectique. La mémoire, alors réceptacle universel de la pensée et de la connaissance, en devenait presque dispensable. C’est l’idée même de civilisation, telle que la concevait alors Socrate qui fut remise en cause, bouleversée de fond en comble et n’est-ce pas un changement inversement similaire qui se déroule à présent sous nos yeux, la grande revanche de l’oralité sur la chose écrite ? La réduction du temps de lecture, la perte du plaisir de lire pour la plupart d'entre nous, la baisse des ventes de livres ne sont pas les symptômes conjoncturels d'une crise passagère, mais bien les signes d'une transformation structurelle des modes de pensées, de la conception du monde.
Si les réseaux sociaux de l'ère numérique offrent peut-être une nouvelle forme de dialectique socratique, ils oblitèrent la solitude du lecteur qui permettait l'émergence d'une pensée critique. C'est la lecture qui a structuré la culture occidentale moderne, aussi les mutants numériques nous seront étrangers, d'un point de vue neurologique, meilleurs, qui sait, mais fondamentalement différents. Je ne crois pas à la disparition de l'objet-livre, mais bien de la civilisation du livre. La lecture va probablement continuer de refluer jusqu'au stade de l'an mil, avant l'alphabétisation de masse, où les isolats des monastères perpétuaient une tradition en voie d'extinction. Les élites sociales, plutôt que religieuses, maintiendront alors cette forme de réflexion, comme un loisir doré, terriblement exclusif, comme on apprend encore le latin, ou le grec ancien. Les écrivains deviendront ainsi des stars du cinéma muet, comme Gloria Swanson dans Sunset Boulevard...
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De même que Mars et la Terre évoluent dans une région tempérée, permettant la liquéfaction de l'eau, je crois qu'il existe sûrement une zone d'habitabilité littéraire, où l'écriture, je veux dire le passage à l'acte conscient et méthodique, est possible. Cette possibilité se voit restreinte par la distance qui sépare l'individu de la chose écrite, de l'idée de littérature, de l'image même de l'écrivain. Au contact presque du feu on s'évapore instantanément, trop loin, c'est le désintérêt et l'incompréhension. L'enfance, le milieu (hélas), la curiosité déterminent à parts inégales ce positionnement. Si la vie se joue à peu de choses, la Littérature nait (ou pas) d'infimes détails.
Rédigé à 22:11 dans Paraphernalia | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
Le clignotement du curseur qui ponctue les secondes sur l'écran blafard reste le modèle indépassable des instruments de torture, comme la goutte d'eau qui tombe à intervalle toujours identique sur un front parfaitement lisse, mais le travail (du latin tripalium) qui s'annonce ne m'a jamais fait peur, bien au contraire. J'attends toujours avec impatience le moment de peupler cet espace, de combler les brèches...
Rédigé à 21:19 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Si les sportifs de haut niveau sont considérés comme des vieillards bons pour le rebut, une fois dépassée la trentaine, et les jolies actrices, comme des femmes fardées proches de la ménopause, dès la maturité atteinte, la « jeunesse » en littérature n'a fort heureusement rien de commun avec sa parente biologique et se termine généralement après quarante ans. Privilège d'une discipline qui nécessite plus d'expérience que de fraicheur physique. Cependant, la jeunesse se vend bien, sur le papier comme les écrans et dans les stades. Il existe même en France, un mythe inextirpable de la précocité littéraire, mêlant tout à la fois, rondeur juvénile et souffre de l'âge, dans un panaché devenu marketing et toujours gagnant, de Rimbaud à Radiguet, de Sagan à Minou Drouet. Bernard grasset lui-même, ne déclara-t-il pas, au moment de la parution du Diable au corps : «Il ne faut pas dire : Radiguet est un génie, mais il a quinze ans ! » .
Ceux qui, se reposant sur une espérance de vie en progression, ont débuté plus tardivement se voit engagés, malgré eux, dans une course contre la montre.
Il faudra par conséquent se garder, les années s'accumulant dangereusement, de passer du statut enviable et générique de « jeune auteur prometteur » à celui nettement moins considéré de vieil auteur n'ayant pas percé. La marge de manoeuvre est très étroite, me direz-vous et les catégories souvent poreuses.
Rédigé à 22:41 dans Paraphernalia | Lien permanent | Commentaires (6) | TrackBack (0)
La parution des oeuvres complètes, pour signifiante qu'elle soit, devrait tout comporter, notes, notules, brouillons, ratures, manuscrits inédits et non prétendre à la perfection glacé d'un corpus longuement peaufiné où le définitif rivalise avec la manipulation pure et simple. La tentative de définition du réel doit être la plus vaste possible, emprunter des chemins de traverse, se perdre dans des culs de sac, et même accepter la médiocrité éventuelle. La volonté des ayants-droits, et parfois celle de l'auteur lui-même (je pense ici à Nabokov) devraient être écartées au profit d'une présentation exhaustive. C'est dans l'accumulation des détails et non la dissimulation qu'apparait une quelconque vérité.
Les textes publiés, généralement minoritaires dans une oeuvre, reflètent-ils d'ailleurs quoi que ce soit, à l'exception du goût éditorial ? Non seulement, les livres publiés sont des accidents éparses, échappant au continuum littéraire, je veux dire en cela, extrait par la main du hasard, d'une chronologie imperceptible au lecteur, mais la nature même de ces textes est souvent falsifiée (améliorés diront les plus optimistes) par le filtre éditorial :
« Je me rappelle le temps où les premiers romans de Michel Michel, présentés par Dominique Aury, étaient discutés en Comité . « Il devrait raccourcir le II, refaire le IV, s'amputer du VII !... » Ces romans prisés par beaucoup, en hémisphère nord, et dont maints DEA et Phd doivent maintenant restituer les nécessités d'architecture, etc, étaient dépecés, prothésés, en Comité. »
Michel Deguy
Un texte inédit, publié à titre posthume n'enlève rien à la qualité de ce qui est déjà connu, même faible, il apporte son lot d'enseignements et n'entache pas la prétendue beauté d'un ensemble de textes élagué par des exécuteurs testamentaires qui portent bien leur nom.
Rédigé à 22:47 | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
Comme on n'écrit jamais le livre que l'on désire, que l'on attend, tous les livres ne sont que des échecs à cerner l'objet inconnu qui obsède. Si, comme le pressentait Paulhan, la Terreur consiste à nier la réussite du langage à véhiculer le sens, à jamais intransmissible, je crois, terreur subsidiaire, que le livre est la marge d'une page restée invisible. Comme un astre en déroute, orbitant autour d'un trou noir super massif, le livre, par sa seule présence, révèle l'existence d'un à côté plus vaste et pourtant imperceptible. Par une succession de tentatives malheureuses, l'écrivain cerne tant bien que mal un périmètre dont il ne saurait décrire l'étendue avec justesse, faute de moyen adéquat. Le tracé de la circonférence trahit ainsi la réalité du centre obscur. D'où l'importance finalement des œuvres complètes, guide balisé du pourtour, empreinte laissée par ce qui n'a pas été.
Rédigé à 22:24 | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
Rien de pire, en effet, que d'avoir le sentiment d'être choisi pour des qualités qui ne seront finalement ni utilisées, ni mêmes requises :
« Qui parmi vous sait parler l'anglais ?
-Moi, mon Capitaine.
-Alors, vous serez de corvée de pluche ! »
L'édition a cela de commun avec l'armée, me semble-t-il.
Rédigé à 00:50 | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
On peut dire, je crois, qu'avec la révolution française s'est ouverte une période où la construction de l'identité nationale s'est vue associée, intimement, à la littérature. A l'encontre d'autres nations, la France a fait le choix de cet appariement. L'écrivain, ce nouveau saint laïque, porteur de la conscience et de la parole du peuple s'est vu, soudain, propulsé au premier rang de la culture, de la raison, du progrès technique et sociale. Cette tendance semble culminer sous la troisième république, Victor Hugo ayant contribué à cette élaboration, tout autant que les hussards noirs de l'éducation et les terrassiers des routes nationales. Suprématie d'une langue (le français n'est finalement devenu majoritaire en France qu'au XIXè siècle, notamment grâce à la constitution d'un réseau de voies de communication), cadre linguistique de la chose littéraire et figure tutélaire de l'écrivain pour porter le tout.
On peut dire, je crois, que cette période s'est achevée avec le reflux géopolitique de la décolonisation, la France retournant à ses frontières naturelles, comme un fleuve en décrue. À mesure que l'influence et le pouvoir diminuaient, la figure de l'écrivain descendait peu à peu de son piédestal et la littérature, en tant que vecteur identitaire, migrait doucement du centre de la culture à sa périphérie pour ne plus devenir finalement qu'un élément artistique et intellectuel parmi bien d'autres. D'où la récente dissolution du lien qui unissait jusqu'à présent pouvoir exécutif et littérature. Contrairement au États-Unis, où la question identitaire est toujours en perpétuelle renouvellement, la superposition d'un peuple, d'une langue normée et d'un territoire figé est désormais parfaitement achevée.
De là viendrait sans doute ce sentiment de venue tardive, ou d'inadéquation fondamentale chez beaucoup d'écrivains aujourd'hui. Comment porter le poids d'une vocation, somme toute, anachronique ? La passion s'épanche, ridicule, en l'absence d'un objet, inertie des générations qui s'obstinent à refuser le changement. L'auteur français contemporain est un retardataire qui débarque avec ses fleurs décaties et son vin aigre, alors que la fête est terminée.
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L'histoire de l'écriture semble maintenant susciter un intérêt plus vaste que l'écriture d'une histoire, comme si le chiasme était par excellence, la figure de style de notre époque, retournée comme un gant par les stratèges du marketing. Il s'agira de promouvoir des circonstances, plutôt qu'un produit fini, l'Écrivain étant un personnage à part entière, d'un ouvrage plus vaste que le simple roman, la mise en scène de la vie elle-même. Il faudra que l'auteur ait fourni son effort au sommet d'une montagne inaccessible, tel Hassan ibn al-Sabbah, ou dans une cabane au fin fond du Cambodge, comme le colonel Kurtz dans Apocalypse Now. L'écrivain thaumaturge guérit ainsi des écrouelles, change l'eau en vin et Britney Spears en première communiante. En achetant son livre, on touche à l'incarnation du mystère, non de la création comme il se devrait et dont tout le monde se fout, mais bien d'une vie hors les murs, d'une vie rêvée par les petits épargnants frappés par la crise. La littérature, telle qu'on la conçoit aujourd'hui, n'est plus qu'un support permettant de véhiculer l'intransmissible expérience de la singularité dans la marée de la foule. Celui qui n'a pas une vie à vendre, n'est plus créateur de rien.
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Au fil du temps, à force d'échecs et de culs de sac, on arrive véritablement à désapprendre. C'est un processus long et difficile, mais qui vaut la peine d'être entrepris. Il s'agira « d'acquérir du naturel », au sens où la nature n'est pas un état inné, mais bien quelque chose qui paradoxalement vient avec l'âge. Si d'après les psychologues, l'injonction paradoxale « sois spontané ! » rend les enfants schizophrènes, je suis pour ma part convaincu qu'elle libère l'écrivain (peut-être parce qu'il est déjà relativement schizoïde).
Essayons de reléguer le cerveau analytique à l'arrière plan, pour ne lui attribuer, non plus le rôle du funambule, mais bien celui, moins spectaculaire, du filet de sécurité prévenant sa chute éventuelle.
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Quoi que j'écrive, les mots sensés proviennent toujours du dialogue, jusqu'au texte que je produis ici et maintenant. J'entretiens de manière discontinue une conversation polyphonique avec des sous-divisions de moi-même que j'affuble de visages familiers. Je parle aux gens que je connais, que j'ai connu, que j'imagine parfois, jouant avec une sincérité non feinte les accents de l'argutie, des remontrances et de la conviction. Mes proches sont des marionnettes que je manipule, qui me tiennent tête ou bien se couchent, au gré de la marche. Je ne pense convenablement que dans cette dialectique fictive, auto-accouchant en quelque sorte dans une forme solitaire de maïeutique. C'est dans cet échange imaginaire, masturbatoire et fantasmatique que la verve, qualité me faisant cruellement défaut dans la vie quotidienne, finit, laborieusement, par suppurer quelque chose de fugitif.
Rédigé à 22:13 | Lien permanent | Commentaires (5) | TrackBack (0)
Le temps passe et le principe de réalité devient un obstacle proprement monstrueux qui enfle et se ramifie. Les jours infinis de la jeunesse n'offrent en définitive que peu de place aux rêves accumulés. Il faudra faire le tri dans les projets qui s'additionnent et se superposent, se concurrencent, faute de temps, d'énergie ou de volonté. L'oeuvre démesurée que l'on porte à bout de bras est en réalité inversement proportionnelle à celle que l'on produit. La montagne accouche toujours d'une souris. On devra enterrer sous les notes certaines idées grandioses, non seulement en vertu de contraintes matérielles, mais également, et c'est plus regrettable encore, par calcul. La volonté d'exister nuit ainsi à l'existence de l'oeuvre elle-même.
On peut tout de même évoquer ici ce qui ne sera pas et appliquer le précepte borgésien consistant à dépeindre en quelques lignes seulement ce qui pourrait s'écrire sur des centaines de pages. Il s'agit-là d'une imposture littéraire à minima, l'avortement que l'on fait passer pour la naissance.
Projet condamné n°1
Science fiction sociale
-Soit un vaisseau-monde, baptisé Macondo II, voyageant vers Proxima du Centaure (située à 4 années lumière de la Terre) et contenant mille personnes.
-Attendu que l'engin se déplace à une célérité équivalent à un centième de la vitesse de la lumière (supputation technique raisonnable), le trajet d'un monde à l'autre est donc estimé à 400 ans.
-Laissant de côté les péripéties de l'aventure spatiale, on envisagera les aspects sociaux, culturels, religieux et politiques de cette micro société sans attache (sectes, cultes, mutineries, rapports entre les générations, glissement de la dictature militaire à une forme helvétique et villageoise de démocratie).
-Il s'agira d'une relecture de 100 ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez.
-8 tomes couvrant 50 ans chacun, divisés en deux cycles de 4 tomes intitulés Ascension et Pentecôte, comme les deux versants d'un col imaginaire qui serait le point de non-retour.
-Chaque tome serait centré sur un personnage à l'intérieur d'une même filiation (Buendia).
-Les descendants des pionniers, nés à bord du vaisseau et n'ayant jamais connu la Terre, accepteront-ils le destin choisi pour eux par leurs ancêtres et choisiront-ils le moment venu de quitter leur monde pour une planète inconnue ?
Temps de rédaction nécessaire : environ 10 ans.
Probabilité de succès éditorial : faible.
Indice de cohérence par rapport au travail de l'auteur : 3/10
Rapport difficultés/rétribution : 2/10
Recommandation : Abandon.
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On est rarement séduit par l'altérité. Le pouvoir d'attraction est une forme de narcissisme qui réside dans la figure du Même.
Les recrutements se font entre pairs, les publications également. Le lecteur cherche un livre qui lui ressemble, un partenaire qui le comprenne. S'intéresser à la différence nécessite un effort intellectuel, une ouverture d'esprit et une curiosité rares. La civilisation lutte contre l'exogène.
C'est pourquoi, les systèmes organisés, de la cellule à la classe sociale, ont tendance à la réplication. La mutation est l'accident, l'imprévu, le pépin qui survient et survit contre toute attente. Pour un groupe d'individus donné, on parle d'un gène seulement pour une période de dix mille ans. La rupture esthétique est, quant à elle, toujours perçue comme une abomination.
Rédigé à 00:02 dans Paraphernalia | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
Un texte, pour peu qu'il soit habité par quelque chose de vivant, nécessite, exige du lecteur une certaine disponibilité, dépassant de loin le cadre de l'espace et du temps. Cet Animus est à cent lieux de la prose journalistique, qui fait aujourd'hui office de littérature à tel point que la facilité est désormais perçue comme un gage de qualité intrinsèque.
Comme en amour, l'enjeu se situe bien au-delà de la compréhension analytique. Il s'agit plutôt d'une forme d'imprégnation. La collision de la métaphore approche la Vérité bien mieux que l'énonciation monocorde.
Bien entendu, la pluralité des chronologies, l'inadéquation chronique tendent à rendre la séduction inopérante. Il faudra s'efforcer de remettre à intervalle régulier son attention au rémouleur de sensibilité.
"Un film trop compréhensible ne peut pas faire un film intéressant. Pour faire une bonne histoire, il faut plonger dans l'inconscient".
Hayao Miyazaki
Rédigé à 23:03 | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
La profession des écrivains n'est jamais perçue comme une contingence insignifiante, mais tout au contraire comme une preuve tangible de leur incarnation, un manteau de chair, souvent trop grand, qui les rend plus ordinaires et mêmes vulnérables, en prise avec cette vie qu'ils semblent pourtant fuir. Il s'agit toujours d'être à-demi, le trait d'union légitimant la bâtardise insupportable. Les sangs-mêlés rentrent alors dans le rang de la vie sociale et du monde. La linguistique à l'usage des médias cherche avant tout à rassurer. En les décrivant maladroitement, on les intègre de force, comme on catéchisaient autrefois les peuplades étrangères, de peur que leur croyances incompréhensibles ne contaminent les foules ordonnées.
Il faut seulement apprivoiser, mais la manière dont on perçoit les écrivains en dit plus long sur la société que sur la littérature elle-même et l'évolution des substantifs accolés trahit le glissement des mœurs, l'assimilation. Concaténation sociologique plutôt qu'associations libres de la psychologie.
Si les deux Paul, Claudel et Morand étaient des écrivains-diplomates, ils furent bien vite remplacés par les écrivains-aventuriers qu'étaient Kessel et Cendrars. Vint ensuite le temps immensément long des écrivains-journalistes (mettre ici le nom de n'importe quel auteur contemporain), qui s'emparèrent de la parole en promouvant leurs propres livres. Les succès récents de Marc Dugain et d'Antoine Bello laissent pourtant présager la fin d'un règne interminable et l'avènement final des écrivains-entrepreneurs. Les générations se suivent et le centre du pouvoir se déplace, insensiblement. Ainsi en va-t-il de la typologie, reflet fidèle d'un présent autrement insaisissable.
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La gare routière de Tel Aviv, ou « tahana merkazit » étend ses rampes de béton sur le paysage urbain comme des tentacules monstrueuses. Le bâtiment tout entier semble être une créature issue de l'infra monde cher à Lovecraft, une métastase de ciment et de poussière agglutinés. Cette description issue de l'Appel de Cthulhu semble d''ailleurs parfaitement lui convenir : « Nul ne saurait décrire le monstre ; aucun langage ne saurait peindre cette vision de folie, ce chaos de cris inarticulés, cette hideuse contradiction de toutes les lois de la matière et de l'ordre cosmique. » Ses six étages, ses galeries marchandes pour la plupart abandonnées, ses boutiques closes, ses néons crépitants en font un vaisseau fantôme où junkies, prostituées, et immigrants chinois se mêlent aux soldats éthiopiens portant l'uniforme de Tsahal.
On se perd facilement dans ce dédale sans minotaure et sans signalisation. La construction de l'édifice dura vingt cinq ans, dont vingt ans d'interruption. L'architecte Ram karmi, lui-même, pense avoir perdu les plans. On dit que personne n'en a jamais exploré la totalité, tant les culs de sac, les impasses et les corridors obscures succèdent au cafétérias décrépites, aux immenses salles d'attente où patrouillent en permanence les équipes de déminage. Tout semble avoir été conçu en dépit du bon sens le plus élémentaire, les espaces s'enfilant dans une suite sans logique. Le manque de financement a pourtant rendu l'achèvement de « l'oeuvre » impossible et l'on n'ose imaginer ce qu'il en serait si les comptables ne l'avait arrêté.
À Bruxelles, le palais de justice, plus vaste que la basilique Saint-Pierre de Rome, trône au sommet d'une colline, dans le quartier des Marolles. C'est une ziggourat carthaginoise, dont les dimensions semblent avoir été choisies pour accueillir des demi-dieux. Le plafond de la salle des pas perdus culmine à cent mètres de haut. Les jardins d'Amilcar, chers à Salammbô, tiendraient tout entier sous la coupole monumentale qui chapeaute l'ensemble. L'espace règne ici en maitre, les salles d'audience minuscules semblant égarées au milieu d'un sanctuaire dédié au vide. On dit de Joseph Poelaert qu'il en fit une porte spatio-temporelle destinée à rejoindre une ville parallèle, sise dans un monde imaginaire.
Il en est finalement des bâtiments comme des livres. Les bâtiments sont des livres que l'on occupe physiquement, voilà tout. Du goût commun pour le grandiose et le monstrueux. L'un ne va jamais sans l'autre. Je reste avant tout fasciné par cette tératophilie urbanistique et textuelle, le désir quasi pathologique pour la difformité, l'albinisme. Cela ne cesse jamais vraiment. Quand on a fini de chasser la baleine livide, on se tourne alors vers les éléphants blancs.
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Il ne pouvait se rappeler d'elle qu'en été. Sa mémoire perforait la trame du temps, oblitérant les saisons concurrentes. Qu'avaient-ils fait ensemble durant tous ces hivers, ces printemps...il l'ignorait à présent tout à fait. Dans son souvenir, les fenêtres étaient toujours ouvertes et le vent soulevait paresseusement les rideaux. On vivait alors à moitié nu et cette impudeur nouvelle était finalement tout ce qui restait de leur relation.
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Comme Allen Ginsberg en 1956, j'ai aujourd'hui le sentiment de voir les meilleurs esprits de ma génération détruits, non plus par la folie, l'hystérie et la faim, mais tout simplement par l'indifférence et l'omniprésence du bruit.
Ces gens-là, vous ne les connaitrez pas, vous ne les entendrez pas. Beaucoup d'entre eux ont d'ores et déjà renoncer à la parole. Drôle d'époque que celle où les orateurs-nés choisissent de se taire par résignation. L'esprit se saborde pour ne pas subir le naufrage. Si l'intelligence est bien une forme d'expression collective et non pas le surgissement ponctuel d'une parole individuelle, on retiendra de notre époque une forme d'absence volontaire, si tant est qu'un manque puisse laisser une trace. Chez Thomas Pynchon, c'est la tribu des Herreros qui décidait de ne plus se reproduire et donc de disparaître afin de protester contre sa captivité. La désormais traditionnelle grève de la faim, devenait ainsi grève de la génération. Le silence, pour assourdissant qu'il puisse être, est-il une forme de résistance passive égale à celle de Thoreau, retiré du monde, dans sa cabane de Walden Pound ?
Rédigé à 20:42 | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
Autrefois, les peuples païens du nord de l'Europe faisaient de grands feux pour célébrer le solstice d'hiver, le retour de la lumière. Aujourd'hui, on brule des voitures le 31 décembre. On change de combustible, mais le rituel, même inconscient, demeure.
Ils gravaient des runes, de mystérieuses incantations sur le fil d'épées damasquinées. On impriment des formules, des slogans politiques et publicitaires. Le progrès est une idée absurde.
De la permanence de certains comportements à travers les âges...
Rédigé à 22:42 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Après une interruption momentanée des programmes, D-fiction revient avec une nouvelle maquette. Caroline Hoctan, Jean-Noël Orengo et Sandrine Langélus m'ont généreusement invité à cette inauguration, en m'offrant la possibilité de proposer des textes inédits, dont un long entretien. Bonne lecture sur ce site de plus en plus riche et qui recevra d'autres auteurs dans les mois à venir.
Rédigé à 20:41 | Lien permanent | Commentaires (3) | TrackBack (0)
J'avais déjà parlé ici et là de ma fascination pour les titres, leur importance cruciale, leur absurdité descriptive, mais voilà que depuis quelque temps, l'influence de l'erinaceus commun se fait de plus en plus prégnante. On pourrait croire les auteurs et les éditeurs détachés de la novlangue publicitaire, mais non ! Les gourous de la com' semblent s'être donner le mot pour décliner ce qui apparaît de toute évidence comme une formule magique et qu'on pourrait décrire ainsi : article défini + substantif (adjectif optionnel) + article partitif + substantif animalier. On peut également la modeliser comme suit, x étant bien entendu la recette du succès en librairie : x=a+b(c)+a'+b'. A L'Élégance du hérisson est donc venu s'ajouter Les Yeux jaunes des crocodiles et La Valse lente des tortues de Katherine Pancol, Le désespoir des singes de Françoise Hardy, ainsi que La Longue patience du sanglier, à paraître le 12 mars prochain chez Plon.
On peut soi-même, et suivant cette méthode infaillible, générer de nouveaux titres à la demande, comme dans une machine à produire du texte selon une grille toujours identique (les anciens métiers à tisser produisaient bien des motifs grace à des cartes perforées). Marchant dans les traces de Raymond Queneau, Je propose donc à la cantonade, Les couilles du pangolin, La Discrétion de la baleine franche (pas si mauvais, d'ailleurs) et pour finir, La Mélodie souterraine du lombric. Maintenant, à vous de jouer...
Rédigé à 13:32 | Lien permanent | Commentaires (5) | TrackBack (0)
Depuis qu’il existe une littérature de masse, c’est à dire le Roman, la vie est devenue décevante. C’est le sujet même de Madame Bovary, en somme. Depuis que le cinéma existe, la réalité semble même doublement frustrante.
(On dit que la fiction permet de vivre une infinité d'existences, au sens où les personnages seraient des substituts, par la procuration desquels on peut multiplier les expériences. C'est tout simplement faux. La vie fantasmatique s'amplifie, certes, tandis que la vie réelle n'est plus qu'un référent terni. A moins que l'on écrive à son tour, manière commode de déverser le trop plein. C'est bien souvent l'excès de lecture qui rend finalement l'écriture nécessaire, comme une purge.)
Le XIXè aura été le siècle de la déception, non parce que les espoirs étaient trop grands pour être atteints, mais bien parce que la manière de les atteindre ne peut en aucun cas égaler la perfection de la représentation. L’idée qu’on se fait désormais de la chose prime sur la chose elle-même. Voila pourquoi les révolutions furent vouées à l’échec.
Rédigé à 22:27 dans Paraphernalia | Lien permanent | Commentaires (5) | TrackBack (0)
Dans le panthéon celte, Ogmios était un magicien noir qui enchaînait ses victimes par l'éloquence et les signes secrets de l'écriture. La racine de son nom signifie « chemin ». De sa bouche jaillit de l'or, sa langue est une longe reliée aux oreilles des hommes. Il est l'inventeur de l'ogam, une écriture alphabétique composée de 20 lettres, réservée à un usage sacerdotal. Dans l'antiquité, même la tradition orale la plus stricte tolérait le signe pour peu qu'il fut sacré. L'écriture était une forme d'envoutement.
Les Hébreux ne parlaient pas l'Hébreu, mais l'araméen, langue vernaculaire. Ils parlaient également le Latin, langue de transit et d'échange, apportée par le colonisateur romain. L'Hébreu était exclusivement la langue du Livre et de la prière. On n'écrivait pas le trivial, le nécessaire, ou bien alors dans un alphabet dédié à cet effet.
L'écriture, et par conséquent la Littérature, proviennent du sacré, servent d'intercesseurs auprès de la divinité. Pourtant, la disparition de ces langues contiguës et spécifiques nous impose aujourd'hui un langage à tout faire et condamne ainsi la Littérature au profane.
Rédigé à 17:41 | Lien permanent | Commentaires (1) | TrackBack (0)
Paris Hilton serait-elle un personnage inventé par Marcel Aymé ?
C'est l'insolente question que l'on devrait se poser en visionnant pour la centième fois La Traversée de Paris, tant les similitudes entre la blonde héritière et Grandgil, interprété par jean Gabin, sautent enfin aux yeux. Les déambulations nihilistes du premier ressemblent à s'y méprendre à celles de la seconde. Le règne moral de Bush en lieux et place du couvre-feu de la zone occupée. L'aisance matérielle en temps de crise confère une impunité totale aux deux protagonistes. Le temps et l'espace qui les séparent ne changent pourtant rien à cet axiome. Les héros anarchistes qu'affectionnait tant l'auteur d'Uranus et du Passe-muraille traquent le bourgeois et ses vices, la mentalité paysanne aussi bien qu'ouvrière, la petitesse d'esprit.
Si The simple life est un spectacle éminemment subversif, c'est parce qu'une gosse de riche y détruit méthodiquement les valeurs qui fondent le contrat social de l'occident capitaliste. « Ceux qui se lèvent tôt » y sont ramenés de manière systématique et désinvolte à l'état de cloportes anonymes et interchangeables, survivant dans la terreur et l'abrutissement de lendemains étriqués. D'où vient alors ce sentiment qu'une émission de télé-réalité, animée qui plus est par une bimbo décolorée est en fait un programme punk ?
Miséreux et milliardaires se rejoignent dans leur absence totale de peur, leur détachement face aux vies besogneuses et prétendument méritantes. Ne rien avoir à perdre équivaut à se sentir au-dessus des lois.
On pourrait donc ainsi tracer une filiation mêlant personnages de fiction et personnages « réels », qui commencerait avec le Boudu de jean Renoir et, passant aussi bien par Sid Vicious que la Collection blanche, se terminerait de manière improbable et sans doute involontaire sur MTV.
En tous cas, quel bonheur de voir foulé au pied tout ce qu'il nous faut respecter par crainte de l'avenir !
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Dès que l’on écrit un
livre, ou du moins un texte que l’on ambitionne de publier un jour
-On ne se réveille malheureusement jamais avec un manuscrit de
trois cent pages tout ficelé sur son bureau, comme dans Le
Créateur d’Albert Dupontel- il faut nécessairement
endosser, souvent malgré soi, les habits de l’Écrivain.
Comme on ne construit rien en prétendant faire tout autre
chose, il faut donc assumer sa posture (Impossible, en effet,
d’incarner le Père Noël sans habit rouge ni fausse
barbe. Personne n’y croirait, quand bien même la prestation
serait impeccable). Certains personnages répondent à
des codes bien définis qu’il serait vain de vouloir
modifier. Les clichés ont la vie dure, au point de phagocyter
parfois une réalité déviante et originale.
Évitez les stéréotypes
et vous sèmerez la déception autour de vous, si bien
qu'il faille souvent mentir et se conformer pour exister. On joue
d'une certaine manière à l'écrivain que l'on
finit par devenir et de ce jeu nait toujours un sentiment d'imposture
qui se prolonge bien au-delà de la publication. La comédie
perdure sans doute jusqu'à la fin, puisque l'œuvre rêvée
se dérobe à mesure qu'elle s'élabore et que les
modèles s'éloignent à mesure que l'on progresse.
En définitive, on n'est jamais écrivain tout à
fait.
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Si, comme l'a écrit Arthur Schopenhauer dans ses Aphorismes sur la sagesse dans la vie, « Les quarante premières années de l'existence produisent le texte, tandis que les trente autres fournissent le commentaire », on peut se demander dans quelle mesure les civilisations tout entières suivent également le même chemin.
Notre époque semble bel et bien constituer l'exégèse d'un passé décortiqué et la Littérature, témoin privilégié des bouleversements en cours, reflète depuis longtemps cette tendance. Craignons que le roman, comme les Beaux Arts, ne devienne tout à fait un lieux où l'explication a définitivement remplacé l'objet, où la démarche s'expose à défaut de résultat.
Si la peinture est aujourd'hui une forme de sous-littérature apparentée à la linguistique, tant les catalogues d'exposition ressemblent à des manuels de sémiologie commentant des espaces vides, je crains plus que tout l'avènement de l'analyse textuelle comme unique destination d'un regard, enfin détaché de tout support.
Rédigé à 23:14 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Si l'on cherche encore une explication
vaine, un semblant de commentaire sur Les Récidivistes
de Laurent Nunez, c'est certainement chez Borges, encore lui, qu'il
faudra tamiser, comme si l'ouvrage tout entier, et sa cohorte de
masques, ne dissimulait en réalité qu'un seul regard
opaque, celui de l'Argentin.
Si les figures de Quignard, Proust,
Duras et Genet sont aisément jetées en pâture au
lecteur, ce ne sont que leurres habiles et diaboliques. Plagiat
revendiqué, pastiche ou palimpseste me direz-vous lassé
par tant d'allitérations, et de conventions littéraires,
mais ce serait sans compter une relecture attentive du Pierre
Ménard, auteur du Quichotte de Jorge Luis Borges.
Je pourrais, comme le prétend
Ménard dans la nouvelle éponyme, devenir Borges à
mon tour, et reproduire ici l'intégralité du texte,
sans pour autant l'avoir copié, mais cette entreprise, « il
me suffirait d'être immortel pour la mener jusqu'au bout »,
aussi, je baisse lâchement les bras, et me contenterai par
conséquent, afin d'édifier mon lectorat, de quelques
extraits significatifs, éclairant à mon sens le travail
improbable et sidérant accompli par Nunez, « la
totale identification avec un auteur déterminé »
:
« Il ne voulait pas composer un autre Quichotte -ce qui est facile – mais le Quichotte. Inutile d'ajouter qu'il n'envisagea jamais une transcription mécanique de l'original ; il ne se proposait pas de le copier. Son admirable ambition était de reproduire quelques pages qui coïncideraient – mot à mot et ligne à ligne – avec celles de Miguel Cervantès. « p45
« Mon jeu solitaire est régi par deux lois diamétralement opposées – La première me permet d'essayer des variantes de type formel ou psychologique ; la seconde m'oblige à les sacrifier au texte « original » et à raisonner cet anéantissement avec des arguments irréfutables. » p48
« Le texte de Cervantès et celui de Ménard sont verbalement identiques, mais le second est presque infiniment plus riche. (Plus ambigu, diront ses détracteurs ; mais l'ambigüité est une richesse.) » p49
« Être, en quelque sorte, Cervantès et arriver au Quichotte lui sembla moins ardu – par conséquent moins intéressant – que continuer à être Pierre Ménard et arriver au Quichotte à travers les expériences de Pierre Ménard » p46
Être l'autre, enfin, et devenir soi-même. Devenir l'autre soi-même...
(Toutes citations de Jorge Luis Borges, in Fictions, Gallimard-Folio, 1965)
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Faut-il poursuivre des objectifs absurdes, dessiner une carte aussi grande qu'un pays, jouer encore au piano les mains déformées par l'arthrose, ou bien écrire frappé de cécité?
« I will not go gently into that good night, but rage, rage against the dying of the light », écrivit Dylan Thomas quelques années seulement avant d'ingurgiter les dix-huit bourbons qui devaient l'expédier directement du Chelsea Hotel aux Enfers d'Hadès, un soir de novembre 1953.
Hemingway et Montherlant contre Homère et Borges. Chez les grecs, où l'on a pris l'habitude d'aller se faire voir, il existait pourtant deux sortes d'aveugles. Les premiers recevaient la cécité en guise de malédiction et le don de divination en compensation, les seconds perdaient la vue en découvrant la vérité. Les premiers se suicident, les seconds peuplent les ténèbres, à Chios, ou Buenos Aires. La vérité de l'oeuvre est-elle une présence éclairante qui anime la surface de l'abîme, tandis que la clairvoyance serait en réalité un jeu de dupe?
Hemingway décida d'en finir alors qu'il n'avait jamais compris, ni accepté le suicide de son propre père. Certaines réalités jusque là opaques finissent par faire jour à l'âge d'homme; Enfin, mes questions sont celles d'un être qui voit encore parfaitement et qui commence seulement à souffrir des mains. Le bleu des Nocturnes de Whistler vient-il de Canaletto et Pourquoi Bronislav Stayevski ne s'est-il pas suicidé lorsque ses doigts le trahirent?
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L'articulation logique du récit peut mener loin des frontières ordinaires du monde, dans un espace indéfini où l'imagination s'ébat. Je ne cherche pas tant le réalisme que la vraisemblance. Convenablement organisées, les idées les plus folles deviennent plausibles et mêmes acceptables pour peu qu'elles soient présentées comme une mécanique, au sens où les rouages s'entraînent les uns les autres de manière implacable. Le postulat de départ sera aussi crédible que possible et même si l'action tient ensuite du syllogisme, je tends vers ce que les anglophones appellent joliment « the supension of disbelief » ou engourdissement du scepticisme. Les péripéties confinent à l'hypnose légère. Convenablement bercé, le lecteur se laissera dès lors transporter vers des contrées fantasmatiques qui l'auraient rebuté de prime abord.
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Il est un moment de l'histoire où le spectacle de la vie a supplanté la vie elle même, bien avant L'ORTF, John Wayne et Guy Debord.
Au XXè siècle, la vie semble avoir perdu son attrait au profit de sa mise scène. La volonté de contrôle a fait de l'existence une création plastique dont la télé-réalité n'est finalement que l'un des avatars les plus commerciaux. La théâtralisation du réel permet de tenir l'imprévisible à distance.
En 1883, alors que les pionniers ont déjà peuplé l'intégralité du territoire américain et que la « frontière » est sur le point de disparaître, le Buffalo Bill Wild West Show commence à sillonner le continent et bientôt le monde pour raconter à ceux qui ne la vivront jamais une épopée largement réécrite. Alors que la conquête bascule dans la routine, les conteurs s'emparent d'une réalité moribonde pour en éclaircir le fond.
En 1889, le Moulin Rouge ouvre ses portes. Le symbole de ce qui est aujourd'hui Montmartre n'est en réalité qu'un décors factice où les bourgeois pourront se divertir et se faire peur sans prendre le moindre risque. L'ouverture du cabaret marque la fin du quartier populaire où débuta la Commune et la naissance d'une attraction touristique qui singe en réalité la misère et le crime. C'est le royaume du faux semblant. L'histoire du vice remplace le vice lui-même.
Enfin, en 1895, le première projection du cinématographe au Grand café du Boulevard des Capucines plonge le monde dans une ère nouvelle. Le cinéma, qu'on l'appelle « vérité » ou non, n'a jamais été une vaine tentative de représenter le réel, mais bien une reconstruction à part entière de celui-ci, l'invention d'un monde parallèle qui ressemblerait au nôtre sans l'être tout à fait.
Dès l'arrivée du train en gare de la Ciotat, la nécessité du cadrage, du placement de caméra ont transformé l'opérateur Lumière en fabricant de vie, tel le Dr Frankenstein de Mary Shelley et l'on oublie trop souvent que le septième art a longtemps été considéré comme le premier moyen scientifique de vaincre la mort.
On le voit, l'expérience totalisante du spectacle qui rompt à la fin du XIXè siècle avec la tradition purement littéraire est un art d'embaumement. Il s'agit de figer le passé aussi bien que les individus dans une attitude idéale qui permet d'échapper aux aléas de la vie. Il faut devenir un objet pour être enfin immortel.
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Les membres du Fric-Frac Club m'ont soumis à la question. J'ai dû répondre à leur questionnaire désormais célèbre.
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Lu dans le Sunday Times du 21 septembre 2008 :
« Poetry by Osama Bin Laden is to be published next week by an Oxford-educated academic, who has discovered that the world’s most hated terrorist was once in great demand as an after-dinner speaker.
(...)
They have been studied by Professor Flagg Miller, who teaches Arabic poetry at the University of California, Davis. He said: “Bin Laden is a skilled poet with clever rhymes and meters, which was one reason why many people taped him and passed recordings around, like pop songs.”
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The verse goes on to portray Bin Laden himself as a “warrior poet”, whose words will lead his followers to an idyllic refuge in the Hindu Kush mountains.
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“He frequently uses mountains as metaphors,” Miller added. “As borders they separate Arabs from each other but mountains can also help them from the temptations of the secular world .” »
"On le surnomme Billy the bomber, énonça calmement Sick. C’était un jeune qui venait des montagnes du Troodos, du village de Trikoukkia. Il appartenait à l’Eoka-B, la branche armée du mouvement indépendantiste. C’était un terroriste, qui jetait des grenades à la terrasse des cafés, puis tirait à la mitraillette sur les gens essayant de s’enfuir. Bien sûr, ici, c’est un héros national. L’Histoire n’est écrite que par les vainqueurs…». À nouveau, le romanesque s’empara de lui. Les gens, les choses, les poèmes et les armes étaient-ils vraiment interchangeables ? Plus rien n’avait d’importance. Le décor était là. Ce monde dont il avait aperçu l’existence en rêve existait bel et bien. C’était la preuve."
OMICRoN, p224-225
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On passe sa vie à attendre que quelque chose se produise, sans jamais savoir exactement quoi. Autrement dit, il ne se passe jamais rien. Ce que l'on considère comme la réalité objective conserve une distance que personne ne peut réduire. Les évènements n'en sont justement pas ! Du goût du public pour les catastrophes, les accidents, en latin, accidere, « ce qui arrive ». L'horreur semble véritablement surgir et embrasser la matière. Mais les cataclysmes ont également cette qualité vaporeuse qui les place d'emblée dans une dimension distincte, coupée du monde à soi. La conscience est en réalité un filtre qui nous isole de l'extérieur. On n'appréhende pas ce qui nous entoure. On le compare simplement avec un idéal déçu. D'où vient que la seule réalité qui soit nous paraisse aussi étrangère? L'attente, celle de Godot chez Beckett, reste une échappatoire, la seule alternative au flou perpétuel de l'existence.
La fiction nous touche pourtant comme ne le fait pas la vie distante qui fuit toujours et nous échappe.
Le cinéma et la littérature produisent des spectacles qui émeuvent plus que les actualités tragiques.
Si le surréalisme est la croyance en une forme de réalité supérieure inaccessible à la raison, finalement peu différente de la religion en ce que le sommeil et l'automatisme ne font que remplacer la foi et la prière, la réalité réelle de la fiction devrait permettre de nous rendre au monde, en traversant le miroir. Je parlerais donc volontiers, pour décrire ce phénomène, d'ultra-réalité.
"Il regarda une dernière fois le paysage laiteux avant de tourner les talons. Il écarquilla les yeux avec intensité, croyant que la seule force de sa volonté pourrait d’un seul coup déchirer le ciel. Il imagina l’astéroïde géocroiseur tomber des nues dans une traînée d’or fulgurante et parfaitement silencieuse, provoquant ainsi une catastrophe de niveau dix sur l’échelle de Turin, mais rien, décidément rien, ne se produisait jamais." OMICRoN, p56
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Un excellent papier, suivi d'un entretien au sujet d'OMICRoN. C'est à lire ici, chez le plus provençal des ressucités. La légende dit même que Lazare aurait participé à l'évangélisation de Chypre. Son tombeau est d'ailleurs toujours vénéré, près de Larnaca. Il était donc écrit (dans les évangiles ?) que son chemin dût finalement croiser celui de Thomas Steren...
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Je crois que le sentiment qui prédomine chez moi est celui de l'inadéquation. Je ne me souviens pas m'être jamais senti à ma place où que ce soit. Je gène, j'encombre, les bras ballants, le regard vague. En tout lieux, ce sentiment d'étrangeté perdure. On n'est jamais véritablement à soi, en soi, mais toujours dans un espace occupé de longue date par un autre. J'ai longtemps pensé que l'écriture et la publication seraient des remèdes à cette forme de schizophrénie, mais de mon point de vue, l'auteur n'a plus sa place dans le monde éditorial. Un singe en hiver, aurait écrit Antoine Blondin. Il embarrasse avec ses états d'âme, sa ménagerie de personnage et ses situations. Il tend maintenant à occuper un territoire cher et raréfié que l'on réserve à des locataires solvables. C'est une pièce rapportée dont il faut encore s'occuper bon gré mal gré en attendant le jour où cette formalité ne sera plus indispensable. Ce problème une fois éliminé, la machine parfaitement huilée pourra dès lors tourner à plein régime. Cette réflexion me rappelle une phrase prononcé par Tim Robbins, interprétant un producteur dans The Player de Robert Altman : « I was just thinking what an interesting concept it is to eliminate the writer from the artistic process. If we could just get rid of these actors and directors, maybe we've got something here. » L'édition étant désormais si éloigné de la Littérature, ce malaise personnel a tendance à s'amplifier. Ce que j'ai longtemps cru être mon véritable foyer n'est finalement qu'un transit de plus, à peine une chambre d'hôtel qu'on occupe une seule nuit.
Marchant il y a quelques jours dans la pénombre de l'aquarium tropical, j'éprouvais à nouveau ce sentiment de bilocation. J'étais à la fois l'enfant que sa mère emmenait voir les poissons, immortels dans leur similitude indéchiffrable et l'homme que je suis finalement devenu, emmenant à son tour son enfant, dans les mêmes endroits, pour les mêmes raisons obscures. Les crocodiles, parfaitement immobiles depuis 1948 seront encore là dans une génération ou deux, s'économisant au maximum, ne clignant des yeux qu'une fois par jour. Ils étaient là bien avant ma naissance, dans la même position, respirant l'air humide avec parcimonie. Ils étaient là, égarés, loin, dans la torpeur artificielle de la plomberie occidentale, sans aucun espoir de retour, ni de départ vers une contrée encore sauvage, n'attendant rien que la fin d'un avenir interminable.
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À une certaine époque, j'ai vaguement fréquenté des "gens de théâtre". Je me demandais alors pourquoi les acteurs couchent systématiquement ensemble, à l'opposé des boulangers, des astronautes et des employés de bureau. Eh puis, j'ai vu sur scène les ébats d'un couple qui l'était aussi à la ville. J'aurais pu croire, naïvement, que les sentiments qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre leur permettaient alors d'améliorer leur jeu, de résoudre le problème de la vraisemblance, n'ayant plus à simuler la passion. Bien au contraire, je réalisai dans l'instant qu'il s'agissait d'une situation diamétralement opposée. Ils pensaient s'aimer car durant une heure trente, chaque soir, ils le déclamaient avec une telle conviction. Ils se grisaient de leur texte et finissaient par y croire. Chez eux, le jeu précédait l'élan, un peu comme l'existence précède l'essence chez Sartre. Ainsi, lorsque les mots viennent avant l'émotion, nait la confusion des sentiments. Laisser la bride au texte est, en définitive, aussi dangereux qu'abandonner toute décision à sa monture. Une fois la série de représentations terminées, une fois le texte rendu muet, les couples se défont, en attente d'un nouvel auteur, d'un prochain partenaire...
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D'abord, il y a les neutrinos, ces particules fantomatiques et quasiment dénuées de masse qui traversent toute chose en permanence. On les traque dans de gigantesques bassins enfouis sous les montagnes dans l'espoir qu'une infime collision génère un photon ou deux, témoignage illusoire de leur passage éclair.
Ensuite, il y a notre esprit qui, dans sa grande arrogance, imagine produire de la pensée, mais n'est en réalité que traversé par elle. De temps à autre, ces fragments qui viennent aussi de loin percutent un neurone et l'illuminent d'une clarté temporaire.
Enfin, il y a les dreamcatchers, ces passoires à rêves, inventés par les indiens Ojibways et qui filtrent la noirceur de la nuit, retenant dans leur filet les cauchemars qui nous visitent.
A mes yeux, la seule chose qui distingue peut-être l'écrivain est justement cette volonté de retenir et de trier le flot incessant d'informations qui nous assaille. Prendre le temps de s'arrêter pour isoler l’instant et chercher à dompter la foudre. Chez Lautréamont, c’est le parapluie qui rencontre la machine à coudre. En ce qui me concerne, je dirais plutôt l’écumoire et le paratonnerre.
Bien entendu, on me rétorquera que la métaphore n’est qu’un télescopage arbitraire et que la réalité se contente de phénomènes objectifs, synapses, dendrites et décharges hormonales. Mais qui se contenterait de la réalité ?
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« Les écrivains étaient de moins en moins lus pour la bonne raison qu'on n'avait plus besoin d'eux, mais de prophètes, d'hommes armés et porteurs d'une parole. »
Alina Reyes, Forêt profonde, Paris : Le Rocher, 2007, p54
« Le forcené, nouveau terroriste de l’époque ultra-libérale, n’était-il pas aussi la seule présence messianique de ce temps post-moderne, le possédé aveugle, venu purger la société qui l’avait maladroitement enfanté. Le fou criminel devenait alors pour Thomas, l’interprète du monde, le lecteur attentif des égarements contemporains, un catalyseur. Il questionnait la société comme le faisait autrefois l’écrivain. Lorsque celui-ci aurait enfin rempli le monde de son évangile sanglant et inarticulé, ce serait la fin de l‘Histoire et Fukuyama n’aurait plus qu’à aller se coucher.
Au moment même d’écrire, Thomas réalisait pourtant à quel point l’écriture était devenue obsolète, non plus le fruit blet d’une impossibilité technique et existentielle, mais un cadavre refroidi et muet. Pour exister et faire surgir la parole, mieux valait à présent prendre les armes et tirer sur la foule. »
OMICRoN, p106
« L'ex leader des serbes de Bosnie est un poète raté, mais un vrai criminel de guerre, inculpé par le tribunal pénal international de la Haye, notamment de génocide pour les atrocités commises pendant la guerre de Bosnie (...) dans ses interviews pendant la guerre, il se vantait du caractère prémonitoire de ses vers où, dès 1971, il évoquait « une terrible vision de Sarajevo, brûlant comme de l'encens avec notre conscience s'envolant en fumée » Ou bien : « Je suis né pour vivre sans tombeau et ce corps humain ne mourra jamais; il est né seulement pour sentir les fleurs, mais aussi pour incendier, tuer et tout réduire en poussière... »
Marc Semo, Libération, le 22 juillet 2008
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Chaque matin, je butte sur la prophétie apocalyptique d'un fou. Les affiches publicitaires ont beau se succéder. En vérité, je vous le dis, je guette avec anxiété le remplacement des grands étendards, non pour leur message plein d'une gloire certaine, mais bien pour le commentaire qui s'y renouvelle sans cesse.
L'argument lui sert alors de support, de page, de dazibao. Il lui faut des aliments sous vide et des placements financiers pour proclamer le retour du messie, la fin des temps et des haricots Bonduel. Je ne sais pas qui est ce type qui s'acharne avec une constance sans égale à barbouiller son espace, à le noircir de phrases. Il s'agit d'un dément, mais je le trouve admirable. Rien ni personne ne le détourne de sa tâche et chaque jour il enrichit son délire de nouveaux épithètes.
Je pense à lui souvent. Je pense à Antonin Artaud, bien évidemment. Pourtant, le style n'y est pas. Ce serait vraiment trop beau, mais je ne sais pourquoi, le fou qui écrit inspire toujours l'indulgence.
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il y a seulement quelque jours, je rédigeai ici même « ce qui est écrit est en vie », évoquant ainsi la persistance du texte coupé, sa résistance à toutes les formes de mutilation, un peu comme ces poulets courant décapités.
Cette phrase simple ne m'a pas quitté depuis lors. Je crois avoir dit quelque chose d'important sans m'en rendre compte. Sans doute est-ce là un commentaire involontaire sur le golem de Prague. Rabbi Yeouda Loew ben Bezalel anima sa créature d'argile en écrivant sur son front le mot « emet(h) », signifiant vérité. Ensuite, il lui ôta la vie en effaçant la première lettre (aleph), ne laissant plus sur le front sans ride que le mot « met(h) », signifiant mort. Une lettre seulement sépare ainsi la vérité de la mort. Il est dit que dans la bouche du golem, figurait également un papier sur lequel était inscrit le tétragramme ineffable (YHWH). Dans la tradition hébraïque, il est interdit de jeter le papier sur lequel est écrit le nom de Dieu. Il existe par conséquent des lieux de dépôt, ou « guenizot » servant à stocker les papiers devenus inutiles, mais qu'on ne peut jeter malgré tout, des cimetières de textes en quelque sorte.
Presque malgré moi, je pense à La bibliothèque de Fort Moxie, inventé par Jack McDevitt, que je citais déjà dans le passage amputé (voir note précédente), mais également à la bibliothèque imaginé par Richard Brautigan dans l'Avortement, destinée à recueillir les manuscrits rejetés.
Il faudrait peut-être songer également à indexer quelque part les excroissances textuelles, les kystes romanesques, ces textes à qui l'on a prêté vie avant de leur ôter, mais qu'on ne peut jeter malgré tout.
Rédigé à 00:28 dans Opus 3 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Comme le corps amputé se souvient toujours du membre manquant, les textes portent en eux les traces indélébiles de paragraphes sectionnés. Aussi, la partie émergée de l'iceberg révèle par sa présence même la masse des grandes profondeurs. Soustraire à l'œil du lecteur des pages jugées superflues ne modifie en réalité que la surface du texte. Il existe une cohérence minérale de la fiction que l'auteur lui-même ne saurait corrompre a posteriori. Rien n'y fait ! Tout est toujours là !
C'est après avoir lu un billet de Jean-Noël Orengo, consacré au Necronomicon et à son éventuelle influence sur la communication d'Oussama Ben Laden, que m'est venue cette réflexion. Au cours de nos conversations, Caroline Hoctan eut l'intuition de mettre en parallèle le contenu de cette note avec mes propres allusions à l'invention de Lovecraft. Pourtant, le livre en question n'est mentionné nulle part dans les 300 pages d'OMICRoN. Nulle part, à l'exception de passages retirés de la version définitive sur les conseils de mon éditrice. Les cinquante pages coupées du manuscrit forment aujourd'hui un sous-texte qui transparait tout de même dans le livre paru.
Ce qui est écrit est en vie, quoi qu'il en soit.
J'offre ici aux curieux le passage incriminé, dont l'absence est finalement visible, perceptible et tout aussi réelle que les mots bel et bien imprimés.
Rédigé à 00:07 dans Opus 3 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Non seulement c'est bien la fiction qui donne son sens au réel, mais elle en panse également les plaies.
On devrait s'interroger sur ce désir de réalité qui meut aujourd'hui notre société, cette obsession viscérale qui contamine tout, rend l'imagination suspecte et criminalise les rêveurs. Choisir délibérément l'ablation du songe est une forme de lobotomie collective.
Les conteurs sont nés avec l'humanité, dans les grottes où figurent encore les traces pariétales de leur mythologie. L'exposition d'un réel sans signification au détriment du conte marquerait une rupture définitive entre l'homme et ce qui l'anime véritablement.
Je crois à la fonction chamanique de la littérature et je prêche (dans le désert) pour sa restauration.
"Tout était qualifié, minutieusement défini. Il fallait voir, vérifier, tout montrer jusqu’au tréfonds, n’oublier aucun détail. Thomas réalisait combien son entêtement l’avait jusqu’alors diminué, cantonné dans l’obscurité, en dépit de la clarté rayonnante du progrès et de la communauté. On voulait s’affranchir des impondérables, maîtriser la naissance et la mort, abolir l’altérité. La science enfin était la véritable pornographie, celle que tout le monde espérait en s’épuisant la rétine sur des ébats zoophiles, faute de mieux. Il fallait transgresser, souiller, apprendre à connaître pour mieux avilir, être un homme, nom de Dieu !"
OMICRoN p101
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